Si l’histoire de la guerre de 1914-1918 est bien connue, peu de personnes connaissent l’histoire des tirailleurs sénégalais. Le dernier film de Mathieu Vadepied, raconte la vie de ces soldats enrôlés pour la France, malgré eux.
Le 4 janvier dernier sortait Tirailleurs, le film produit par Omar Sy et réalisé par Mathieu Vadepied. Dans le même temps, la France annonçait que les anciens soldats pourraient percevoir la totalité du minimum vieillesse (950€ par mois) et ce, sans devoir passer la moitié de leur temps en France. Aujourd’hui, la majorité des Tirailleurs sénégalais sont morts. Et s’ils font l’actualité depuis la promotion du film du même nom, il semble que l’histoire de ces soldats arrachés à leurs pays pour combattre pour la France, soit longtemps passée sous silence.
L’origine des tirailleurs
Il faut remonter en 1857, lorsque ce corps militaire, appelé « tirailleurs sénégalais » est créé par décret par Louis Faidherbe, sous Napoléon III. La création de ce corps militaire intervient 9 ans après l’abolition définitive de l’esclavage et de l’émancipation des esclaves. « Il y a une vocation d’utiliser d’anciens esclaves et leur fonction militaire. On aimerait qu’ils suppléent les autorités militaires en Afrique », commente Anthony Guyon, historien, enseignant et auteur du livre « Les tirailleurs sénégalais – De l’indigène au soldat de 1857 à nos jours », dans les colonnes de Ouest France. Si ce premier régiment est créé au Sénégal en 1857, les tirailleurs sont ensuite recrutés sur la base de l’engagement mais sont également enrôlés de force au sein de toute l’Afrique occidentale et centrale conquise par les Français. Bien souvent, pour désigner ce recrutement, on parle de « rapts ». En 1912, un décret institue le recrutement par voie de réquisition. Il est donc ainsi prévu que «[les] indigènes de race noire du groupe de l’Afrique-Occidentale française peuvent en toutes circonstances être désignés pour continuer leur service en dehors du territoire de la colonie ».
Lors de la Première guerre mondiale, les tirailleurs sénégalais sont entre 400 000 et 500 000. Près de 200 000 soldats venus d’Afrique subsaharienne, auxquels s’ajoutent 40 000 Malgaches et 270 000 Maghrébins, seront ainsi, de gré et de force, envoyés sur le champ de bataille. Les soldats africains sont ainsi envoyés au front dès 1914, en Isère. « Cela a été très dur parce qu’ils n’étaient pas habitués aux rigueurs du climat », raconte Jean-Yves Le Naour, historien français. De 1915 à 1916, ils sont plus de 60 000 pour compenser les lourdes pertes de l’armée française. Au total, la « force noire » a perdu près de 45 000 hommes. En 1917, 15 000 tirailleurs sont envoyés en première ligne à l’assaut des crêtes du Chemin des Dames. Le 16 avril 1917, près de 1 400 tirailleurs sénégalais tombent sous le feu des mitraillettes allemandes. On les retrouvera ensuite dans tous les combats de l’entre-deux-guerres, la Deuxième Guerre mondiale, et les guerres de décolonisation, d’indépendance : 60.000 hommes en Indochine, 5.000 en Algérie.
Omary Sy met en lumière ces oubliés de la Grande Guerre
Dans Tirailleurs, Omar Sy incarne Bakary Diallo, un père de famille sénégalais qui décide de se porter volontaire pour rejoindre les rangs de l’armée mais surtout pour y rejoindre son fils, Thierno, enrôlé de force et ainsi le ramener, sain et sauf, à son village. « L’idée, c’est de questionner. Questionner le rapport historique de la France à ses anciennes colonies, qu’est-ce qu’on dit de ça aujourd’hui, est-ce qu’on sait ce qu’on a fait ? », avait alors déclaré Mathieu Vadepied à l’AFP, lors du Festival de Cannes. « Ces histoires, il faut les raconter, les transmettre. Il faut que tout le monde les connaisse. On n’est pas là pour faire culpabiliser, mais pour reconnaître des histoires douloureuses et s’en libérer ». Culpabiliser, non mais reconnaître ? En effet, la France aurait essuyé de nombreuses lacunes concernant la reconnaissance qu’elle aurait dû conférer à ces soldats qui se sont battus pour la nation. Alors qu’elle l’avait promis, la France « n’a pas donné la nationalité française à la citoyenneté laissée à ses soldats qui pourtant l’attendaient », précise Jean-Yves Le Naour.
Le corps militaire est finalement dissout au début des années 1960, à mesure que progresse la décolonisation. Et la mémoire semble être perdue. « Certains de ces soldats, qui pourraient revenir auréolé de gloire, ont le sentiment de ne pas avoir été conviés au buffet des vainqueurs. Lorsqu’il fallait faire le sale boulot, ils étaient là, mais ils n’ont pas défilé lors de la libération de Paris, pour la bonne et simple raison que les armées françaises étaient sous commandement américain et les États-Unis à l’époque sont ségrégationnistes ». Il faudra globalement attendre les années 90 pour qu’un travail de reconnaissance et de mémoire s’opère. « Sans doute parce que la France est de plus en plus multiculturelle. Et donc on a redécouvert non pas l’histoire des Africains ou l’histoire des Français, mais notre histoire ». En 2017, François Hollande naturalise 28 anciens tirailleurs. Une décision qui « s’inscrit dans la volonté du président de la République de reconnaître l’engagement et le courage des tirailleurs sénégalais issus de l’Afrique subsaharienne, qui ont combattu pour la France dans les différentes opérations militaires entre 1857 et 1960 » selon l’Elysée.