En 2025, à peine cinq films français ont dépassé le million d’entrées. Un chiffre alarmant qui révèle le malaise d’un cinéma en perte de lien avec son public.
Il fut un temps où les salles françaises vibraient au rythme des succès maison. Les Tuches remplissaient les multiplexes, les comédies de Dany Boon faisaient salle comble, et les drames de Klapisch ou Jaoui faisaient pleurer Paris. En 2025, le constat est tout autre : le cinéma français ne fait plus rêver. Depuis le 1ᵉʳ janvier, seulement cinq longs-métrages tricolores ont franchi le seuil symbolique du million d’entrées. Un score famélique, comparé aux onze films millionnaires enregistrés à la même période l’an passé.
Une panne d’envie
Le dernier à rejoindre le club ? Kaamelott – Deuxième volet, partie 1, signé Alexandre Astier, sauve l’honneur en franchissant tout juste le million. Mais derrière lui, les chiffres font grise mine : God Save the Tuche reste en tête avec ses 3 millions d’entrées, suivi de Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan (1,5 million), Un ours dans le Jura (1,5 million) et Chien 51 (1,3 million). Et c’est tout. Pour le reste, le box-office hexagonal ressemble à un désert.
Cette panne ne s’explique pas par une seule cause, mais par une accumulation de signaux faibles : inflation du nombre de sorties, comédies formatées, absence d’événements fédérateurs. Entre les films d’auteur confidentiels et les blockbusters américains, le spectateur a l’impression d’un vide au milieu. Ce “cinéma du juste milieu”, celui qui autrefois faisait battre le cœur du box-office, semble aujourd’hui condamné à l’indifférence.
Le streaming, nouvel eldorado des réalisateurs
L’autre grand facteur, c’est évidemment la fuite des talents vers les plateformes.
Netflix, Amazon ou Canal+ offrent désormais aux auteurs français la possibilité de travailler vite, bien, et sans la pression du box-office. Les projets ambitieux ou atypiques trouvent là un public, parfois international, sans passer par la salle. Mais cette évolution a un revers : les spectateurs s’habituent à voir français depuis leur canapé. Et lorsqu’ils vont au cinéma, c’est pour l’événement — Dune 2, Barbie, Deadpool & Wolverine. Pas pour une comédie sur le burn-out d’un prof de yoga.
Ce désamour pour le cinéma national dépasse les simples chiffres. Il traduit une crise de désir culturelle. Les Français consomment des histoires à la chaîne — séries, podcasts, TikToks — mais ne se reconnaissent plus dans celles que leur propose le grand écran. À l’heure où la jeunesse s’émeut sur YouTube et s’identifie à des créateurs plutôt qu’à des acteurs, le septième art national cherche désespérément son langage commun.
Vers un cinéma plus audacieux ?
Si le film d’Alexandre Astier parvient à s’imposer, c’est précisément parce qu’il ne joue pas le jeu habituel. Nourri d’un univers culte, pensé comme une saga, il repose sur une mythologie déjà aimée du public, capable de mélanger humour, émotion et grand spectacle. Mais combien d’auteurs français disposent aujourd’hui d’un tel capital affectif ? Peu.
Le CNC promet un plan de relance pour 2026, misant sur des films plus ambitieux, plus lisibles, et mieux accompagnés. Mais pour beaucoup, c’est la relation entre les films et les spectateurs qu’il faut réinventer. Les exploitants le savent : sans électrochoc, le cinéma français risque de devenir un marché de niche dans son propre pays.
Les entrées se tassent, les films s’enchaînent dans l’indifférence, et les rares succès deviennent des mirages. Dix ans après le record historique de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, la question se pose à nouveau : qu’est-ce qu’on a fait au public ?


