Libéré après un an de détention en Algérie, Boualem Sansal s’est exprimé pour la première fois depuis son retour en France. Sur France 2, l’écrivain franco-algérien a salué les efforts diplomatiques qui ont conduit à sa libération, tout en reconnaissant que la posture très ferme de son ami Bruno Retailleau vis-à-vis d’Alger avait, selon lui, compliqué les négociations.
C’est un retour marqué par la franchise. Invité de France 2 dimanche soir, Boualem Sansal, libéré le 12 novembre après plus d’un an de détention en Algérie, a livré une première prise de parole empreinte de gratitude, mais aussi de lucidité politique. S’il a remercié les autorités françaises pour leur mobilisation, l’auteur de 2084 : La fin du monde n’a pas éludé les tensions diplomatiques qui ont pesé sur son sort. « D’une certaine manière, oui, la ligne très ferme de Bruno Retailleau a pu être un obstacle à ma libération », a-t-il reconnu, évoquant son ami personnel et ancien ministre de l’Intérieur.
« Il offrait à l’Algérie l’occasion de dire : “Regardez, c’est notre ennemi, ils nous détestent.” Mais avec ou sans Bruno Retailleau, ils auraient probablement réagi de la même manière », a-t-il nuancé. L’écrivain, connu pour son franc-parler et sa critique des régimes autoritaires, souligne que la politique intérieure française a sans doute « complexifié » les discussions entre Paris et Alger, déjà fragilisées depuis plusieurs années.
Une amitié sincère malgré les désaccords
Malgré cette critique publique, Boualem Sansal insiste sur le lien personnel qui l’unit à Bruno Retailleau : « On va se voir dans les jours qui viennent. On s’est téléphoné. C’est mon ami », a-t-il confié. Ce respect mutuel n’efface pas leurs désaccords. Quand Boualem Sansal plaide pour un dialogue lucide mais ouvert entre les deux rives de la Méditerranée, Bruno Retailleau, lui, a incarné au sein du gouvernement une ligne de fermeté à l’égard du régime algérien, fustigeant la « complaisance » d’Emmanuel Macron et de ses diplomates.
Pour le romancier, cette approche frontale a pu donner du grain à moudre à Alger, où la France est souvent perçue à travers le prisme de la méfiance postcoloniale. « La moindre déclaration jugée hostile devient prétexte à durcir les positions », a expliqué l’écrivain, qui rappelle combien le pouvoir algérien « instrumentalise facilement le ressentiment nationaliste ».
Un contexte diplomatique explosif
Les tensions entre la France et l’Algérie ne datent pas d’hier, mais elles ont connu un regain spectaculaire ces derniers mois. Après une tentative de réconciliation amorcée par Emmanuel Macron — illustrée par sa visite à Alger à l’été 2022 — les relations se sont à nouveau crispées lorsque le président français a apporté son soutien au plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental, au détriment de la position algérienne.
Depuis, les contentieux se sont accumulés :
- la détention de Boualem Sansal, écrivain critique du régime ;
- celle du journaliste français Christophe Gleizes, toujours emprisonné à Alger ;
- et le refus d’Alger de reprendre ses ressortissants sous le coup d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français).
La crise diplomatique a pris une dimension politique en France même, opposant deux lignes : celle de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur jusqu’en octobre, favorable à la confrontation, et celle d’Emmanuel Macron, qui continue de privilégier le dialogue et la coopération.
L’après-Retailleau : un tournant pour la diplomatie française ?
Depuis le départ du patron des Républicains du gouvernement, remplacé par Laurent Nuñez, les relations entre Paris et Alger semblent timidement se réchauffer.
L’invitation officielle adressée au nouveau ministre de l’Intérieur par son homologue algérien a été perçue comme un signe d’apaisement. Selon plusieurs observateurs, la libération de Boualem Sansal aurait pu être facilitée par cette évolution du climat diplomatique.
À ce sujet, une source proche de l’Élysée confie que le président Macron suit personnellement ce dossier et avait, dès le printemps, multiplié les signaux discrets à destination d’Alger. « Le chef de l’État voulait éviter que l’affaire Sansal ne devienne un symbole de rupture définitive entre les deux pays », explique cette source.
Un écrivain libre, mais lucide
Pour Boualem Sansal, cette libération ne sonne pas la fin du combat. L’écrivain compte reprendre la plume, fidèle à son engagement en faveur de la liberté d’expression et de la démocratie. « L’Algérie que j’aime est celle du dialogue et de la culture, pas celle de la peur », a-t-il affirmé sur France 2, visiblement ému mais déterminé à continuer de « dire les choses, même quand elles dérangent ». Son message, empreint de sagesse, dépasse sa propre histoire : il illustre la complexité des relations franco-algériennes, faites d’amour, de blessures et d’une histoire commune dont personne ne sort vraiment indemne.


