Après trois mois de contestations sans précédent en Iran suite à la mort de Mahsa Amini, l’Iran a annoncé l’abolition de la police des mœurs. Mais n’est-ce pas un leurre ?

16 septembre 2022. Une jeune iranienne de 22 ans, Mahsa Amini, décède après avoir été arrêtée, trois jours plus tôt, par la police des mœurs. Son crime ? Son voile aurait été considéré comme « non-réglementaire ». Une mort qui a suscité l’indignation et donné suite à de nombreuses manifestations. Cette mobilisation est considérée comme la plus importante jamais connue depuis la révolution verte de 2009. En effet, le dernier bilan issu des autorités locales faisait état de 41 morts, mais plusieurs ONG assurent que les heurts ont causé le décès d’au moins 50 personnes. Mais, que sait-on réellement de cette police des mœurs si ce n’est qu’elle juge du bon port ou non du voile ?

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La loi et la police

Depuis 1983, en Iran, les femmes et les jeunes filles à partir de 7 ans sont soumises à une loi stricte : elles doivent porter le hijab. Si ces dernières ne respectent pas cette législation, elles risquent alors une peine de prison ou des sévices corporels comme des coups de fouet. Il est précisé que toute Iranienne « vue en public sans foulard est passible d’une arrestation, d’une peine de prison, de la flagellation ou d’une amende ». En 2005, la tristement célèbre police des mœurs fait son apparition, pour durcir davantage le contrôle apposé sur les femmes. On l’appelle également la police de la moralité. Concrètement, cette police est surtout là pour vérifier que les tenues vestimentaires des femmes sont conformes à la législation. Longueur des manteaux, état des jeans (pas de trous), pas de vêtements trop moulants, pas de vernis à ongles, pas de manches trop courtes ni de chevilles visibles ou encore pas de mèches qui dépassent du voile. Cette fameuse mèche qui dépasse a coûté la vie à Mahsa Amin.


« Plus de 2,9 millions de femmes iraniennes ont reçu un avertissement de la police pour non-respect du code vestimentaire islamique et 18 081 autres femmes ont été déférées aux autorités judiciaires pour être poursuivies et sanctionnées » entre mars 2013 et mars 2014 selon une enquête menée par Amnesty International. Lorsqu’elles sont arrêtées, certaines femmes sont relâchées après avoir signé un papier où elles consentent à respecter la loi, alors que d’autres sont emmenées dans des centres pénitentiaires où elles sont parfois victimes de violences physiques. De plus, depuis l’élection de Ebrhaim Raïssi, le président ultra-conservateur, la loi concernant le port du hijab a été durcie. En effet, depuis le 5 juillet dernier, le voile doit désormais couvrir le cou et l’ensemble des épaules. Un décret du 15 août expose aussi les femmes à des punitions plus sévères en cas de non-respect des règles vestimentaires.

Ce qui pourrait changer (ou pas)

Samedi 3 décembre 2022, les autorités ont demandé à la justice et au Parlement de revoir la loi de 1983 sur le port du voile obligatoire. Toutefois, il n’est pas précisé ce qui pourrait être modifié dans la loi. Dans le même temps, le procureur général d’Iran, Mohammad Jafar Montazeri, a annoncé que la police des mœurs, la Gasht-e Ershad a été abolie. «La police des mœurs n’a rien à voir avec le pouvoir judiciaire, et elle a été abolie par ceux qui l’ont créée», a-t-il affirmé samedi soir dans la ville sainte de Qom. Toutefois, quelques questions autour de cette abolition subsistent. Ghazal Golshiri, journaliste au Monde, relève ainsi sur Twitter que « personne d’autre » que le procureur n’a confirmé cette disparition de la police des mœurs.


L’abolition de la police des mœurs, une simple diversion ? Pour certaines personnes, c’est ce à quoi ça ressemble. « Même si la police des mœurs est abolie dans sa forme actuelle, le voile est toujours obligatoire en Iran, donc le régime doit toujours l’appliquer. Cela semble être une opération de diversion en amont des grandes mobilisations prévues en Iran la semaine prochaine », dit sur Twitter Farid Vahid, directeur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès. Pour la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi, même son de cloche. Selon elle, il ne s’agit que d’un leurre, d’une diversion pour apaiser les tensions. En effet, invitée sur TV5 Monde, elle a rappelé qu’à la fin de son annonce, le procureur général d’Iran a expliqué que le contrôle du port du hijab se fera d’une autre manière. Une déclaration jugée « trop vague » pour la réalisatrice. Car en effet, si la police des mœurs est abolie, l’obligation de porter le voile, elle, est maintenue.

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