L’antibiorésistance, phénomène où les bactéries deviennent résistantes aux antibiotiques, pourrait causer 39 millions de décès d’ici 2050 et être associée à 169 millions de morts indirectes. Une vaste étude, publiée dans The Lancet, tire la sonnette d’alarme sur ce problème de santé publique mondial. Selon les chercheurs du projet Global Research on Antimicrobial Resistance (GRAM), ce chiffre représente une hausse de 70 % par rapport à 2022. Les résultats sont bien plus alarmants que les projections de l’OMS, qui estimait en novembre dernier 10 millions de décès d’ici 2050.

Le professeur Tomislav Mestrovic, co-auteur de l’étude, précise toutefois : « Ce sont deux évolutions possibles et le nombre de morts est sans doute quelque part au milieu ». Néanmoins, les résultats de cette analyse sont préoccupants, car l’antibiorésistance pourrait devenir plus meurtrière que des maladies comme le SIDA ou le paludisme.

Un phénomène déjà inquiétant et qui s'amplifie

Entre 1990 et 2021, plus d’un million de personnes sont mortes chaque année des suites de résistances aux antibiotiques. Parmi les agents pathogènes les plus résistants figure le staphylocoque doré, particulièrement insensible à la méticilline. En 2021, il a causé 130 000 décès dans le monde, un chiffre en forte augmentation par rapport aux 57 200 morts enregistrées dix ans plus tôt. L’étude s’est concentrée sur 22 agents pathogènes et 84 combinaisons entre bactéries et traitements. Elle a également étudié 11 syndromes infectieux, dont la méningite et les infections sanguines, dans 204 pays et territoires. Les données recueillies sur plus de 520 millions de personnes ont permis aux chercheurs de prédire l’évolution inquiétante de l’antibiorésistance dans les décennies à venir.

L’antibiorésistance n’affecte pas toutes les tranches d’âge de manière égale. Selon l’étude, les décès chez les personnes âgées de plus de 70 ans ont augmenté de plus de 80 % entre 1990 et 2021, une tendance qui devrait se poursuivre jusqu’en 2050 avec un doublement des décès dans cette catégorie. À l’inverse, les décès chez les enfants de moins de cinq ans ont diminué de 50 % sur la même période, en partie grâce à des campagnes de vaccination massives. Cette tendance devrait se confirmer avec une réduction de moitié des décès liés à l’antibiorésistance chez les plus jeunes d’ici 2050. Les disparités régionales sont également frappantes. L’Asie du Sud, en particulier l’Inde et le Pakistan, sera la zone la plus affectée, avec une prévision de 11,8 millions de décès liés à la résistance aux antibiotiques d’ici 2050. Ces régions, déjà lourdement frappées par des conditions de vie précaires, pourraient voir les inégalités se creuser davantage. Les coûts associés à l’antibiorésistance sont estimés à plus de 100 000 milliards de dollars d’ici à 2050.

Des solutions possibles mais urgentes

Face à ce constat alarmant, les chercheurs insistent sur l’importance de la prévention et de la gestion des infections. L’amélioration de l’accès aux antibiotiques, une prise en charge plus globale des infections, et l’accélération de la recherche sur de nouveaux traitements pourraient éviter 92 millions de décès entre 2025 et 2050, notamment en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne. D’autres leviers, comme la réduction de l’utilisation des antibiotiques dans l’élevage animal, sont également primordiaux. Selon l’OMS, la moitié des antibiotiques produits dans le monde sont destinés à l’industrie animale, favorisant la transmission de bactéries résistantes à l’homme.

Enfin, l’accélération de la recherche est cruciale. Le marché des antibiotiques étant moins rentable que celui de médicaments à usage prolongé, peu de laboratoires ont investi dans ce secteur. Toutefois, une vingtaine de laboratoires pharmaceutiques se sont regroupés en 2020 avec pour objectif de mettre sur le marché 2 à 4 nouveaux antibiotiques d’ici à 2030.

Prévention et sensibilisation au cœur de la lutte

Les chercheurs soulignent également l’importance de sensibiliser la population à une utilisation plus raisonnée des antibiotiques. En effet, une large proportion de ces médicaments est encore prescrite pour des pathologies qui ne justifient pas leur usage, comme le rhume ou la grippe, causés par des virus contre lesquels les antibiotiques sont inefficaces. Le rapport de l’OMS publié en novembre dernier souligne que 24 % des prescriptions d’antibiotiques sont destinées à traiter des symptômes liés au rhume, 21 % à des maux de gorge, et 16 % à des symptômes grippaux, renforçant ainsi la résistance bactérienne.

L’antibiorésistance est en passe de devenir l’un des plus grands défis sanitaires mondiaux. Alors que la recherche avance, les experts insistent sur l’importance de la prévention et de la prise en charge précoce des infections pour limiter les décès. Si rien n’est fait, les conséquences humaines et économiques pourraient être désastreuses.

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