Brahim Chnina a été le détonateur dans la campagne de haine contre Samuel Paty, qui a mené à sa décapitation le 16 octobre 2020. C’est lui, le père de la collégienne dont le mensonge a coûté la vie au professeur, l’auteur des premiers messages de haine sur les réseaux sociaux.
Un récit rigide et des responsabilités déplacées
Depuis le box, Brahim Chnina a martelé la même ligne de défense tout au long de son audition : ses actes, selon lui, étaient motivés par une volonté de protéger sa fille, alors âgée de 13 ans. « J’ai fait l’erreur de croire totalement ma fille », a-t-il déclaré, expliquant que c’était le mensonge de son enfant qui l’avait conduit à réagir de manière excessive. « Je voulais défendre ma fille, je ne sais pas ce qui m’a pris de mettre ça sur les réseaux », a-t-il répété à plusieurs reprises, soulignant son regret d’avoir utilisé Internet pour régler un différend qu’il aurait pu aborder directement avec Samuel Paty.
Cependant, son récit a été vivement contesté, en particulier par Me Virginie Le Roy, avocate de la famille Paty, qui a confronté l’accusé à la virulence de ses publications. Dans des vidéos largement diffusées, Brahim Chnina avait qualifié Samuel Paty de « voyou » et de « malade », tout en divulguant son nom et l’adresse de son collège. Ces propos avaient alimenté une campagne de haine sur les réseaux sociaux, attirant l’attention d’Abdelhakim Sefrioui, un prédicateur islamiste, et de l’assassin, Abdoullakh Anzorov. « Pourquoi, malgré toutes ces alertes et faussetés, vous vous êtes obstiné à continuer cette campagne ? », l’a interrogé l’avocate. Loin de reconnaître son rôle central, Brahim Chnina a continué à déplacer la responsabilité sur d’autres.
Un rôle minimisé et des accusations déplacées
L’accusé a particulièrement mis en cause la principale du collège de Conflans-Sainte-Honorine, qu’il estime responsable de ne pas l’avoir informé du mensonge de sa fille. « Une phrase de quelques mots aurait suffi à sauver la vie de Samuel Paty », a-t-il affirmé, en insistant sur l’idée que tout aurait pu être évité si la responsable de l’établissement avait pris l’initiative de lui révéler la vérité. Cependant, cette accusation est contredite par les témoignages précédents. La principale, entendue lors de la deuxième semaine du procès, a expliqué avoir refusé de recevoir Brahim Chnina après qu’il a porté plainte contre Samuel Paty et s’est présenté au collège en compagnie d’Abdelhakim Sefrioui. Ce contexte tendu, marqué par des menaces explicites envers le professeur, avait conduit l’établissement à éviter tout contact direct avec le père de famille. Malgré ces éléments, Brahim Chnina a maintenu son discours, déclarant : « Si je l’avais rencontré, il n’y aurait pas eu cela. » Il a également tenté de minimiser son rôle en soulignant qu’il n’avait jamais eu l’intention de nuire. « Monsieur Paty, paix à son âme », a-t-il ajouté à plusieurs reprises, une expression qui, selon des observateurs, a déclenché l’agacement des parties civiles.
Les déclarations de Brahim Chnina ont suscité une vive émotion dans les rangs des parties civiles, notamment auprès de la famille de Samuel Paty. « Il n’a pas compris sa part de responsabilité et ses actes », a dénoncé Gaëlle Paty, la sœur de l’enseignant, à la sortie du tribunal. Elle a critiqué l’attitude de l’accusé, qui « rabâche un discours pour détourner l’attention de sa propre responsabilité ». Gaëlle Paty a également exprimé son indignation face à la persistance de Brahim Chnina à minimiser son rôle et à accuser d’autres acteurs, notamment la principale du collège : « C’est choquant pour la famille. Cela montre qu’il n’a pas pris la mesure des conséquences de ses actions. »
Des regrets sélectifs et une ligne de défense fragilisée
Lors de son interrogatoire, Brahim Chnina a également évoqué son incompréhension face à sa décision de médiatiser l’affaire sur les réseaux sociaux. « Je ne sais pas pourquoi, bon Dieu, j’ai voulu régler cela sur les réseaux plutôt que d’en parler à Monsieur Paty », a-t-il déclaré. Cependant, ce regret apparent entre en contradiction avec son comportement obstiné à l’époque, lorsqu’il a mené une campagne en ligne virulente, encouragé par Abdelhakim Sefrioui. Interrogé sur le rôle du prédicateur islamiste, Brahim Chnina a esquivé : « Je ne veux pas me décharger sur Monsieur Sefrioui », a-t-il répondu, admettant tout de même que les événements auraient pu se dérouler différemment s’il avait agi seul.
Accusé d’association de malfaiteurs terroriste, Brahim Chnina encourt jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle. Son passage à la barre met en lumière les dynamiques complexes qui ont conduit à la tragédie, entre manipulation, responsabilité individuelle et effets amplificateurs des réseaux sociaux. Alors que le procès se poursuit jusqu’au 20 décembre, cette audition restera un moment marquant, révélant les engrenages de haine et les failles qui ont mené à l’assassinat d’un enseignant au nom de la liberté d’expression.