François Bayrou et son ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau se sont violemment opposés mardi 18 mars lors d’une réunion à Matignon sur le port du voile dans le sport. Si aucun désaccord idéologique ne les séparait ce jour-là, la forme, elle, a viré au règlement de comptes. En toile de fond : les fractures internes du gouvernement, les rivalités à droite, et une question toujours brûlante en France, celle des signes religieux dans l’espace public.
"Tais-toi" : une réunion sous haute tension
L’image fait désordre. Réunis par François Bayrou autour de cinq ministres pour apaiser les dissonances gouvernementales sur les signes religieux dans le sport, les participants n’ont pas assisté à un apaisement, mais à un affrontement verbal. Selon TF1 et LCI, confirmés par l’AFP, François Bayrou a intimé à Bruno Retailleau de se taire, provoquant un incident majeur. Retailleau, furieux, a brièvement quitté la pièce, avant d’être convaincu de revenir. Ce type de débordement, rare dans une réunion ministérielle, témoigne d’un climat délétère entre les figures politiques du camp présidentiel et leurs alliés issus des Républicains.
Surtout, il souligne les tensions croissantes entre Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez, tous deux en lice pour la présidence des Républicains. Ce dernier n’a pas manqué de réagir : « Le Premier ministre doit respecter les ministres de notre famille politique. La droite républicaine ne participe pas au gouvernement pour se taire », a-t-il déclaré sur X (ex-Twitter). Face à la polémique, la porte-parole du gouvernement Sophie Primas a tenté de calmer le jeu en évoquant une « polyphonie gouvernementale », vantant la diversité de sensibilité au sein de l’exécutif.
Une même ligne politique, mais des tensions personnelles
Sur le fond, pourtant, aucun désaccord entre François Bayrou et Bruno Retailleau. Tous deux soutiennent la proposition de loi du sénateur LR Michel Savin, qui prévoit d’interdire les signes religieux, dont le voile, dans toutes les compétitions sportives, y compris amateurs. Cette position est également défendue par la ministre Aurore Bergé, qui déclarait mardi à l’Assemblée nationale : « Notre ligne est très claire : la lutte déterminée contre toute forme d’entrisme islamiste ».
Mais si la ligne politique semble verrouillée, c’est la méthode et le style qui posent problème. François Bayrou, représentant d’un centre modéré, et Bruno Retailleau, issu de l’aile droite des Républicains, incarnent deux tempéraments et deux visions du rapport au pouvoir, au sein d’un exécutif déjà secoué par d’autres divergences sur l’immigration, la laïcité ou l’autorité de l’État. La querelle est aussi révélatrice d’un climat de pré-campagne. Alors que le parti Les Républicains cherche une nouvelle figure pour se reconstruire, Retailleau et Wauquiez s’affrontent sur fond d’agenda gouvernemental. Pour certains députés LR, Retailleau serait trop inféodé à François Bayrou et Emmanuel Macron pour incarner une opposition crédible.
Un exécutif divisé, une droite en recomposition
L’altercation entre Bayrou et Retailleau ne serait que l’un des symptômes d’un gouvernement sous pression, tiraillé entre des visions opposées de la société française. D’un côté, la volonté de défendre une laïcité ferme et sans compromis ; de l’autre, la crainte d’alimenter les fractures sociales et les accusations de stigmatisation des minorités. Et pendant que l’exécutif tente de parler d’une seule voix, les divisions internes s’exposent publiquement, au risque de brouiller le message présidentiel. Emmanuel Macron, en retrait dans ce dossier pour l’instant, devra trancher, surtout si les Jeux olympiques relancent les tensions autour des signes religieux.
Pour l’heure, un constat s’impose : la gestion du port du voile dans le sport n’a pas seulement révélé une fracture idéologique, mais une fracture politique. Et elle continue d’éclairer en creux les rapports de force qui se dessinent dans la droite post-macroniste.