C’est un récit aussi poignant que politique. Mardi 22 avril, Hélène Perlant, 53 ans, fille aînée du Premier ministre François Bayrou, a révélé avoir été victime de violences physiques extrêmes lors d’un camp d’été dans les Pyrénées, organisé par la congrégation religieuse de Bétharram. Le même ordre auquel appartient l’établissement catholique Notre-Dame de Bétharram, au cœur d’un vaste scandale impliquant plus de 200 plaintes pour violences sexuelles, psychologiques et physiques.
Dans une interview accordée à Paris Match, la quinquagénaire revient sur une scène d’une brutalité inouïe. « Un soir, alors qu’on déballe nos sacs de couchage, Lartiguet me saisit tout d’un coup par les cheveux, il me traîne au sol sur plusieurs mètres et me roue de coups de poing, de coups de pied sur tout le corps, surtout dans le ventre. » Le prêtre, mort en 2000, était connu des élèves pour son autorité redoutée. « Il pesait environ 120 kilos. Pour parler crûment, je me suis urinée dessus et suis restée toute la nuit, comme ça, humide et prostrée dans mon duvet », confie-t-elle, la voix encore brisée par l’émotion. Cette agression, Hélène Perlant ne l’a jamais partagée avec sa famille. « J’ai verrouillé. Refoulé. Cette violence extrême devient un non-événement », explique-t-elle, évoquant un système de peur et de silence profondément enraciné dans le fonctionnement de l’établissement.
Bétharram, « un régime de terreur »
Hélène Perlant n’est pas une victime isolée. Depuis près de deux ans, des dizaines d’anciens élèves témoignent de ce qu’ils ont subi à Bétharram : des coups, des humiliations, des abus sexuels. Dans l’ouvrage Le silence de Bétharram, écrit par Alain Esquerre, porte-parole du collectif des victimes, la fille de François Bayrou témoigne également et raconte la peur, le déni, et l’impossibilité de parler, même entre victimes.« Ces passages à tabac ne se sont jamais produits dans un discret coin de couloir, mais devant des dizaines de personnes à chaque fois », relate-t-elle. « Intuitivement, ils ont trouvé le paradoxe le plus pervers : plus il y a de témoins, moins ça parle. »
Bétharram, selon elle, fonctionnait comme une secte ou un régime totalitaire, maintenant les élèves dans la honte et la culpabilité. Elle dénonce une « pression psychologique », un climat où les victimes craignent davantage d’inquiéter leurs parents ou d’être accusées de mensonge que de chercher justice.
La réaction de François Bayrou
C’est avec une émotion visible que François Bayrou, en déplacement ce mercredi 23 avril, a réagi publiquement à ces révélations. « En tant que père de famille, ça me poignarde le cœur », a-t-il déclaré. Le Premier ministre affirme qu’il n’a jamais eu connaissance des violences subies par sa fille. « Elle ne m’en avait jamais parlé », a-t-il ajouté. L’homme politique, ancien président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, où se situe Bétharram, est aujourd’hui mis en cause pour son éventuelle connaissance des faits. Plusieurs anciens élèves affirment l’avoir alerté, ou avoir informé son épouse, enseignante dans l’établissement. Des accusations que Bayrou réfute, tout en soulignant l’importance du silence dans ces affaires. « Pourquoi les victimes ne parlent-elles pas ? Peut-être pour protéger ceux qu’elles aiment. » Il ajoute : « Ma fille n’est pas le centre de cette affaire. Ce n’est pas une affaire personnelle, c’est une affaire collective. Je pense aux victimes. Je ne veux pas leur lâcher la main. »
Le témoignage d’Hélène Perlant est une déflagration. Il donne un visage à une affaire jusque-là centrée sur des victimes anonymes. Pour Alexandre Perez, membre du collectif des victimes de Bétharram, interrogé par France Inter le 23 avril, « tout le monde est un peu sous le choc de ce témoignage ». Il rappelle qu’en février, lors d’une rencontre officielle avec les victimes à Matignon, François Bayrou avait déclaré : « Dieu merci, mes enfants ont été épargnés. » Des propos désormais remis en question par la prise de parole de sa fille Hélène Perlant. De son côté, Alain Esquerre regrette que l’attention médiatique se concentre sur la fille de François Bayrou, au détriment des autres victimes. « C’est très injuste, tout le monde parle de Paris Match, le livre n’est quasiment plus signalé. »
Une audition attendue
François Bayrou est attendu le 14 mai devant la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les établissements scolaires. Il devra s’expliquer sous serment sur ce qu’il savait – ou non – des agissements au sein de Bétharram. Le Premier ministre affirme n’avoir « aucun problème à répondre à quelque question que ce soit ». Dans l’attente de cette audition, le scandale de Bétharram continue d’ébranler les sphères politiques, religieuses et éducatives. Avec plus de 200 plaintes déposées, dont 90 pour des faits à caractère sexuel, cette affaire révèle l’ampleur du silence entretenu pendant des décennies. Et, grâce à la parole courageuse d’Hélène Perlant, ce silence commence enfin à se fissurer.
Le livre « Le Silence de Bétharram » paraît ce jeudi. Il réunit de nombreux témoignages d’anciens élèves et participe à faire la lumière sur des décennies de violences couvertes par l’institution.