Des centaines de chauffeurs ont bloqué des axes majeurs (aéroport d’Orly, boulevard Raspail à Paris, Calanques à Marseille…) pour protester contre le projet de tarification de l’Assurance Maladie et les dérives du secteur VTC. Sous pression, le ministre des Transports a appelé au calme et annoncé vendredi qu’il allait « renforcer les contrôles sur les VTC » avec les préfets, en multipliant les amendes forfaitaires contre les infractions constatées. Une réunion est par ailleurs prévue samedi au ministère (en présence du Premier ministre François Bayrou et des syndicats) pour tenter d’apaiser la crise. Les chauffeurs restent déterminés : plusieurs organisations ont même déposé plainte contre Uber pour « concurrence déloyale » et non-respect des règles du transport routier.
La mobilisation s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, la réforme du transport sanitaire suscite l’inquiétude : chaque année, la Sécurité sociale consacre environ 6 milliards d’euros à ces transports (dont 3 milliards pour les taxis). L’Assurance Maladie a proposé un nouveau modèle unifié à partir du 1ᵉʳ octobre, afin de rationaliser ces trajets. Or les chauffeurs redoutent d’y perdre en revenus et en autonomie d’organisation. Le ministre Philippe Tabarot l’a reconnu vendredi, rappelant que ce service « doit rester soutenable financièrement » pour l’État, tout en précisant qu’il n’avait « pas la main sur l’aspect financier » et que d’autres ministres apporteraient des réponses aux revendications des taxis. D’autre part, les taxis dénoncent l’essor des VTC et la multiplication d’offres de plateformes numériques. Ils estiment que ces concurrents, moins contraints, opèrent souvent en dehors du cadre légal (par exemple en pratiquant le « maraudage » illégal) et les privent d’une partie de leur clientèle. Cette double inquiétude (réforme sanitaire et concurrence VTC) a poussé l’intersyndicale à lancer un mouvement dès lundi 19 mai, bloquant Paris, Marseille, Pau et d’autres villes.
Mobilisation et annonces gouvernementales
Jeudi 23 mai, environ 1 700 taxis « en colère » ont poursuivi leur mobilisation à Paris, Marseille et Pau contre les nouvelles conditions du transport sanitaire et la concurrence des VTC. Dans la capitale, plusieurs centaines de taxis venus de toute la France ont bloqué le boulevard Raspail (14ᵉ arrt.), non loin du ministère des Transports. Des opérations escargot ou barrages filtrants ont également perturbé les accès à l’aéroport d’Orly et à l’aéroport de Marseille-Provence. Partout, les chauffeurs exigent le gel du projet de tarification de l’Assurance Maladie – qu’ils jugent rédhibitoire pour leur activité – ainsi que l’application stricte de la loi sur les VTC. Leur intersyndicale réclame notamment l’arrêt du projet actuel de tarification sanitaire et la mise en œuvre effective des lois limitant le maraudage des VTC.
Face à ce mouvement inédit, le gouvernement a annoncé un tour de vis. Vendredi matin sur BFMTV, le ministre des Transports Philippe Tabarot a appelé « au calme » tout en promettant des mesures concrètes pour apaiser le conflit. Il a annoncé le renforcement des contrôles sur les VTC « avec le soutien des préfets », mentionnant l’usage de nouvelles amendes forfaitaires (jusqu’à 1 000 €) pour sanctionner rapidement les fraudes constatées De même, le ministère a diffusé la veille un communiqué demandant aux préfets de multiplier les opérations contre « l’exercice illégal d’activité, les maraudes et les racolages illégaux » des VTC. Le ministre a ajouté avoir convoqué les plateformes (Uber, Bolt, etc.) dans les prochains jours pour vérifier le respect du droit social des chauffeurs. Le Premier ministre a de plus organisé une réunion au ministère pour samedi avec représentants des taxis, VTC et gouvernement, afin de « calmer le jeu » autour de ces dossiers. Les chauffeurs jugent toutefois ces annonces insuffisantes. Ils affirment que le projet de réforme sanitaire et le renforcement prévu des contrôles ne répondent pas, à eux seuls, à leurs besoins immédiats.
Dans le même temps, la guerre entre taxis et plateformes connaît un volet judiciaire. Le 23 avril 2025, dans les Alpes françaises, des taxis et VTC locaux ont déposé une plainte pénale contre Uber France pour « concurrence déloyale » et violation des règles du transport routier. Ils y dénoncent en particulier la présence massive de chauffeurs Uber venus d’Île-de-France stationnant en Savoie sans effectuer le trajet retour légalement requis (une pratique assimilée à du « maraudage » illégal). Cette situation a débouché sur des actes violents : au début de février 2025, plusieurs véhicules Uber ont été incendiés en zone touristique, signe de l’exaspération grandissante. Dans son communiqué du 14 février, le préfet de la Savoie François Ravier avait d’ailleurs tenu un langage ferme, rappelant aux chauffeurs VTC leurs obligations légales (réservation obligatoire, interdiction du maraudage, retour à la base…) et annonçant 31 opérations de contrôle depuis l’hiver, avec 70 infractions relevées. Les taxis espèrent maintenant que l’exécutif poursuivra dans ce sens et durcira l’encadrement des plateformes.

Concurrence déloyale et fracture sociale
Ce conflit fait émerger un fort sentiment d’injustice sociale chez les chauffeurs de taxi. « Aujourd’hui, on a un marché qui est totalement dérégulé », s’alarme Sébastien Dumarais, leader syndical en Savoie. Il dénonce la situation de « précarité » imposée aux chauffeurs locaux par l’afflux de VTC venant de région parisienne et agissant en marge de la loi. Les taxis estiment avoir investi (en licences, formation, investissement de véhicule) pour répondre à de nombreuses obligations réglementaires, et se sentent stigmatisés alors que leur métier comporte un volet social important (transports de malades, personnes âgées, accès aux soins…). Ils souffrent d’être parfois perçus comme ayant « plein les poches » quand leur profession manque de considération. Comme le confie Magalie, chauffeuse dans la Drôme : « Les gens ne connaissent pas notre métier et tout le monde pense que l’on s’en met plein les poches ». Cette incompréhension alimente la colère : « Tout cela met en péril nos entreprises et entraîne une déshumanisation des transports des malades », dénonce un représentant syndical au sujet des réformes en cours.
Enfin, cette crise expose la fracture entre les « anciens » et « nouveaux » modèles du transport de personnes. Le taxi traditionnel incarne un service public régulé (tarifs fixés, contrôle social des chauffeurs, missions médicales), tandis que les VTC multiplient les offres flexibles via des applis numériques. Les premiers se plaignent que les seconds profitent de barrières d’entrée plus faibles et d’un statut d’auto-entrepreneurs souvent moins protégé. Ce choc de paradigmes (vieilles contraintes versus nouvelles libertés économiques) alimente les revendications sociales : les taxis réclament un rééquilibrage réglementaire et fiscal pour qu’un niveau de jeu équitable soit rétabli. Faute d’un tel arbitrage, l’inquiétude demeure que ce secteur structuré par l’État ne soit petit à petit submergé par un marché dérégulé, avec pour conséquence un éclatement durable entre une mobilité « d’antan » et une mobilité « ubérisée ».