Le gouvernement français affiche depuis plusieurs mois un objectif clair, inscrit dans le Livre blanc sur la défense : augmenter les dépenses militaires pour atteindre entre 3 % et 3,5 % du PIB d’ici à 2030, soit près du double du niveau actuel. Cette stratégie répond aux pressions de l’OTAN pour une contribution accrue des alliés européens à la défense collective, dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine, les tensions en mer de Chine et une instabilité croissante en Afrique.
Pour autant, cette montée en puissance budgétaire se heurte à la réalité économique : un endettement public élevé, et un déficit avoisinant les 6 % freinent la capacité du gouvernement à financer cette ambition sans fragiliser ses autres priorités.
Des ambitions stratégiques fortes… mais sous tension financière
Sur le plan diplomatique et stratégique, l’intensification du budget de défense s’explique par plusieurs facteurs : la volonté d’acquérir de nouveaux équipements (avions de combat, drones, sous-marins) ; la modernisation des armées ; et la participation active aux missions extérieures (Sahel, Liban). Le président Emmanuel Macron a d’ailleurs affirmé l’intention de doter la France d’une « économie de guerre » capable de relever de nouveaux défis internationaux.
Cependant, la concrétisation de cet objectif bute sur la structure même des finances publiques françaises. Avec une dette publique dépassant le PIB et un déficit de 5,8 %, la marge de manœuvre budgétaire est limitée. L’augmentation des dépenses militaires devra être compensée soit par une hausse fiscale, soit par des dépenses gelées dans d’autres secteurs (santé, éducation, transition écologique). L’expertise de la Banque de France, incarnée par François Villeroy de Galhau, recommande de commencer par une stabilisation des dépenses courantes et par une contribution accrue des plus aisés avant de s’engager dans une envolée des dépenses.
Des pistes de financement et de rationalisation à explorer
Pour tenir cet engagement sans compromettre l’équilibre budgétaire, plusieurs pistes sont évoquées :
Emprunts communs européens : l’idée de recourir à des emprunts mutualisés entre États membres de l’UE pour financer des programmes d’acquisition (comme des drones ou satellites) est avancée, mais fait face à des résistances liées à l’intransigeance budgétaire de certains pays.
Réforme des armées et rationalisation interne : optimiser les coûts de fonctionnement, mutualiser les ressources entre armées, digitaliser certains services pour en diminuer les charges, et négocier à l’échelle européenne pour renforcer le rapport qualité-prix des équipements.
Contribution renforcée des ménages les plus aisés : taxer plus lourdement les hauts revenus ou les grandes fortunes, selon les recommandations de la Banque de France, afin de dégager des financements sans alourdir la dette.
Tout cela dans un cadre où la France, puissance nucléaire et militaire majeure, se situe déjà aux places 3 à 4 en Europe pour le montant de ses dépenses. Comment articuler ambition stratégique et responsabilité budgétaire ? Les prochains mois seront déterminants.
Le projet français de porter les dépenses de défense à 3-3,5 % du PIB d’ici à 2030 constitue un tournant stratégique majeur. Il s’inscrit dans un monde instable, où la solidité militaire est l’un des piliers de la souveraineté nationale. Mais cette ambition se heurte à une réalité économique complexe : dette élevée, déficit persistant, et besoin de ne pas limiter l’investissement dans d’autres secteurs essentiels. Pour réussir ce pari, le gouvernement devra arbitrer avec soin entre priorités, innovation financière (emprunts européens), réformes internes, et équité fiscale.
Au fond, l’enjeu est double : garantir la sécurité nationale… tout en préservant le contrat social et la pérennité économique du pays.