Pour la première fois, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour un contrôle d’identité jugé discriminatoire. En cause : un contrôle « au faciès » sans justification objective, reconnu comme une violation des droits fondamentaux. Une décision inédite qui pourrait faire bouger les lignes.
C’est une première judiciaire d’envergure. Ce jeudi 27 juin 2025, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), saisie en 2017, a condamné la France pour avoir pratiqué un contrôle d’identité jugé discriminatoire, ciblant un citoyen français en raison de son apparence physique. Une décision symbolique, qui pourrait redonner de l’élan aux mobilisations contre les contrôles « au faciès », un phénomène dénoncé depuis plus de deux décennies par les ONG, chercheurs et associations de terrain.
La Cour a estimé que la France avait violé les articles 8 (droit à la vie privée) et 14 (interdiction des discriminations) de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce jugement établit, pour la première fois, qu’un contrôle d’identité ciblé en raison de l’origine perçue d’un individu constitue bel et bien une atteinte aux droits fondamentaux.
Qui sont les plaignants ?
Cette affaire remonte à 2017, lorsqu’un groupe de six requérants français d’origine africaine ou nord-africaine, tous résidant dans différentes villes (Roubaix, Marseille, Vaulx‑en‑Velin, Saint‑Ouen, Besançon), a saisi la CEDH. Leur objectif : obtenir une reconnaissance du caractère discriminatoire de contrôles d’identité répétés et injustifiés, menés par les forces de l’ordre sur la voie publique.
Parmi eux, Karim Touil, un quadragénaire originaire de la région parisienne, affirme avoir été contrôlé trois fois en dix jours en 2011, sans raison apparente, dans des gares ou à proximité de lieux publics. Aucun comportement suspect n’avait été relevé. Son apparence, selon lui, avait suffi à motiver ces contrôles répétés. Après huit ans de procédure, la CEDH lui a donné raison. Les cinq autres requérants, en revanche, ont vu leur plainte rejetée : faute d’éléments factuels suffisamment étayés (date, lieu, identité des agents, fréquence documentée), la Cour n’a pas pu conclure à une discrimination manifeste dans leurs cas.
Des contrôles fondés sur des critères raciaux implicites
La CEDH a estimé que l’absence de justification objective et raisonnable dans le cas de Karim Touil permettait de conclure à une pratique discriminatoire. Elle rappelle qu’un contrôle d’identité ne peut en aucun cas être fondé sur l’origine ethnique, supposée ou réelle, ou sur des stéréotypes liés à l’apparence.
Dans son arrêt, la Cour souligne que les autorités françaises n’ont fourni aucune explication convaincante quant à la nécessité de ces contrôles. Elle dénonce également l’absence de mécanisme de traçabilité qui permettrait à un citoyen de contester un contrôle qu’il estime abusif.
Une pratique systémique, mais toujours tolérée en droit français
Le contrôle d’identité est encadré par le Code de procédure pénale, qui autorise les policiers à procéder à des vérifications « sur réquisition du procureur », « en cas de soupçon » ou dans des zones dites « à risques ». Problème : ces cadres sont souvent appliqués de façon large, voire floue, ce qui ouvre la porte à des pratiques arbitraires.
Les études disponibles, notamment celles du Défenseur des droits et de Human Rights Watch, confirment que les jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes sont jusqu’à 20 fois plus contrôlés que les autres. Mais malgré cette surreprésentation flagrante, les recours en justice aboutissent rarement. Dans l’affaire Touil, la Cour reconnaît l’existence d’un phénomène discriminatoire, mais refuse de conclure à une défaillance systémique de l’État français, estimant que le droit permettrait, en théorie, de contester un contrôle — une lecture critiquée par plusieurs juristes.
Conséquences concrètes : symboliques, mais décisives
L’État français a été condamné à verser 1 500 euros de dommages et intérêts à Karim Touil, une somme modeste, mais à forte portée symbolique. C’est la première fois qu’un contrôle d’identité en France est officiellement qualifié de discriminatoire par une instance internationale.
Cette décision pourrait relancer le débat sur plusieurs pistes envisagées par les défenseurs des libertés :
- La création d’un récépissé de contrôle (expérimenté en vain sous Hollande),
- L’obligation de traçabilité des contrôles via des outils numériques ou des caméras-piétons,
- Une meilleure formation des forces de l’ordre sur les biais raciaux,
- L’ouverture de voies de recours plus accessibles pour les citoyens.
Une jurisprudence qui pourrait s'étendre à d'autres pays
Ce jugement ne concerne pas uniquement la France. Il envoie un signal fort à l’ensemble des pays membres du Conseil de l’Europe : les pratiques policières fondées sur des critères raciaux implicites ne sont pas compatibles avec les droits humains.
Des organisations comme Amnesty International ou Open Society Foundations espèrent désormais que cette décision fera jurisprudence et ouvrira la voie à de nouveaux recours, tant en France qu’ailleurs en Europe.
Au moment de la publication, le gouvernement français ne s’est pas encore exprimé. Mais cette condamnation pourrait peser dans le débat public, alors que la question des relations entre police et population reste extrêmement sensible, notamment dans les quartiers populaires et auprès de la jeunesse racisée.