Après des mois de crispations, la relation entre Emmanuel Macron et Benjamin Netanyahu s’enlise dans une confrontation ouverte.
Dernier épisode en date : une lettre du Premier ministre israélien accusant le président français de nourrir l’antisémitisme en France en appelant à la reconnaissance d’un État palestinien. Une charge violemment rejetée par l’Élysée, qui parle d’accusations « erronées » et « abjectes ».
Une lettre au ton accusatoire
Datée du 17 août et transmise à l’AFP, la lettre de Benjamin Netanyahu ne laisse aucune place à l’ambiguïté. Le Premier ministre israélien se dit « préoccupé par la montée alarmante de l’antisémitisme en France » et reproche au gouvernement français un « manque d’actions décisives » pour y répondre.Selon lui, la décision d’Emmanuel Macron d’annoncer la reconnaissance prochaine de l’État de Palestine à l’ONU n’a pas seulement affaibli Israël sur la scène diplomatique : elle aurait aussi provoqué une flambée d’actes antisémites sur le territoire français. « Depuis vos déclarations publiques attaquant Israël et signalant la reconnaissance d’un État palestinien, [l’antisémitisme] a augmenté », écrit-il.
Le chef du gouvernement israélien emploie des mots très durs, accusant Emmanuel Macron « d’alimenter le feu antisémite » et exigeant une inflexion immédiate. Il appelle le président français à « remplacer la faiblesse par l’action, l’apaisement par la volonté », et fixe même une échéance : « avant la nouvelle année juive », soit le 23 septembre, date qui coïncide avec la clôture de l’Assemblée générale de l’ONU. Pour appuyer ses accusations, Benjamin Netanyahu cite plusieurs événements récents : le saccage de l’entrée des bureaux parisiens de la compagnie aérienne El Al, l’agression d’un homme juif à Livry-Gargan, ou encore des rabbins « pris à partie dans les rues de Paris ». Autant d’incidents qui, selon lui, prouvent une dynamique inquiétante. « Ces incidents ne sont pas isolés. Ils constituent une plaie », affirme-t-il.
Enfin, Netanyahu introduit un parallèle qui n’a pas manqué de choquer Paris : il encense l’ancien président américain Donald Trump, décrit comme un modèle de fermeté dans « son combat contre les crimes antisémites » et sa capacité à « protéger les Juifs américains ».
La réponse cinglante de l’Élysée
La présidence française n’a pas tardé à réagir et le ton a été sans appel. L’analyse de Netanyahu a été jugée « erronée » et « abjecte ». « La République protège et protégera toujours ses compatriotes de confession juive », a martelé l’Élysée dans un communiqué. Et de prévenir : « La période exige gravité et responsabilité, pas amalgames et manipulations. » Paris a tenu à rappeler qu’Emmanuel Macron a fait de la lutte contre l’antisémitisme un axe constant de sa présidence depuis 2017. Après chaque attentat ou vague d’actes antisémites, le chef de l’État a exigé « la plus grande fermeté » de ses gouvernements. Après les attaques du 7 octobre 2023, cette vigilance a même été renforcée. Pour illustrer cette politique, l’Élysée cite une mesure symbolique : l’inscription, dès 2026, de la date du 12 juillet – qui marque l’anniversaire de la réhabilitation du capitaine Dreyfus – au calendrier officiel des commémorations nationales. Un geste fort, destiné à rappeler l’engagement de la République contre l’antisémitisme.
L’entourage d’Emmanuel Macron a aussi tenu à souligner que le président avait découvert le courrier « par voie de presse », mais qu’il y répondrait formellement, par écrit. En attendant, la ligne est claire : la France « n’a pas de leçons à recevoir » dans ce domaine. Le ministre délégué aux Affaires européennes, Benjamin Haddad, a complété cette riposte sur BFMTV. « Les autorités françaises ont toujours été extrêmement mobilisées contre l’antisémitisme », a-t-il affirmé, dénonçant une « instrumentalisation » d’un sujet qui « empoisonne nos sociétés européennes ».
Du soutien au 7-Octobre aux critiques ouvertes
Cet échange illustre l’effondrement progressif de la relation entre les deux dirigeants. Après les attaques du Hamas le 7 octobre 2023, Emmanuel Macron avait affiché une solidarité totale avec Israël, réaffirmant son droit à se défendre. Mais au fil des mois, la multiplication des bombardements à Gaza et le désastre humanitaire ont poussé le président français à durcir son discours. En mai dernier, il parlait de « honte » et d’« inacceptable » pour qualifier l’action du gouvernement israélien dans l’enclave palestinienne. Ces critiques répétées ont été perçues à Jérusalem comme une remise en cause frontale. Netanyahu est allé jusqu’à accuser Macron de « relayer la propagande ignoble d’une organisation terroriste islamiste ».
Le véritable tournant est intervenu fin juillet, lorsque le président français a annoncé que la France reconnaîtrait l’État de Palestine en septembre à l’Assemblée générale de l’ONU. Cette décision, saluée par une dizaine de pays occidentaux, a déclenché l’ire de Netanyahu, qui estime qu’un tel État serait « un tremplin pour anéantir Israël ». Pour l’expert David Rigoulet-Roze, elle constitue « un moment de bascule » dans une relation bilatérale déjà fragilisée.
Vers une rupture durable ?
Depuis un an, les points de friction se sont accumulés : interdiction d’exposition d’entreprises israéliennes au salon de défense Euronaval, suspension française des livraisons d’armes offensives, vote à l’ONU exigeant la fin de l’occupation en Cisjordanie. Début août, Emmanuel Macron a enfoncé le clou en déclarant qu’Israël était « né d’une décision de l’ONU », une remarque qui a piqué au vif Netanyahu. Ce dernier s’est dit « extrêmement déçu » par l’attitude française, estimant que Paris avait basculé « contre nos intérêts communs ».
Aujourd’hui, à quelques semaines de l’Assemblée générale des Nations unies, la relation entre Emmanuel Macron et Benjamin Netanyahu ressemble à une confrontation directe. Et le ton de leurs échanges, entre accusations « abjectes » et menaces voilées, laisse augurer d’un affrontement diplomatique durable.