À peine nommé à Paris, Charles Kushner, magnat de l’immobilier et père de Jared Kushner, gendre de Donald Trump, a été convoqué par la diplomatie française.
Ses critiques contre la politique d’Emmanuel Macron dans la lutte contre l’antisémitisme créent une brouille entre Paris et Washington. Retour sur le parcours sulfureux d’un ambassadeur au profil atypique.
Il n’aura fallu que quelques semaines à Charles Kushner pour déclencher un incident diplomatique. Entré en fonction le 11 juillet 2025, l’ambassadeur américain en France a été convoqué par le Quai d’Orsay après l’envoi d’une lettre à Emmanuel Macron. Dans ce courrier, il exprimait « sa profonde inquiétude face à la flambée de l’antisémitisme en France » et dénonçait « l’absence d’action suffisante du gouvernement français pour le combattre ». Des accusations jugées « inacceptables » par le ministère français des Affaires étrangères, qui a rappelé que ces propos « allaient à l’encontre du droit international et des usages diplomatiques ».
Cette convocation, rarissime pour un ambassadeur nouvellement nommé, illustre la sensibilité extrême du sujet. Ce dossier survient dans un contexte marqué par les tensions entre Paris et Jérusalem : quelques jours plus tôt, Benjamin Netanyahu avait reproché à Emmanuel Macron « d’alimenter l’antisémitisme » en appelant à la reconnaissance internationale d’un État palestinien. Charles Kushner, proche du Premier ministre israélien, a repris à son compte cette ligne de critique, fragilisant d’emblée son rôle d’intermédiaire entre Washington et Paris.
Charles Kushner, un magnat de l’immobilier au passé judiciaire lourd
Né en 1954 à Elizabeth, dans le New Jersey, Charles Kushner est issu d’une famille juive polonaise dont les parents ont survécu à l’Holocauste. En 1985, il fonde Kushner Companies, qui deviendra l’un des plus grands groupes immobiliers de la côte Est américaine. En quelques décennies, il bâtit un empire évalué à près de 3 milliards de dollars en 2024, selon Forbes. La fortune familiale s’élève désormais à plus de 7 milliards de dollars.
Mais la réussite a été ternie par un scandale retentissant. En 2005, Charles Kushner est condamné à deux ans de prison pour fraude fiscale, contributions illégales à des campagnes électorales et subornation de témoin. Dans un épisode resté célèbre, il avait engagé une prostituée pour piéger son beau-frère, avant de filmer la rencontre et d’envoyer la cassette à sa sœur, dans le but d’empêcher un témoignage contre lui. Il purge plus d’un an de prison fédérale avant d’être libéré. Durant son incarcération, c’est son fils Jared qui reprend les rênes de l’entreprise familiale.
Père de Jared Kushner, gendre et conseiller de Donald Trump
Le nom de Charles Kushner est indissociable de celui de son fils Jared Kushner, devenu une figure de la politique américaine en tant que gendre et conseiller spécial de Donald Trump lors de son premier mandat. Mari d’Ivanka Trump, Jared a été au cœur des négociations au Moyen-Orient, notamment sur les Accords d’Abraham. Bien qu’il n’occupe pas de poste officiel dans la seconde administration Trump, Jared reste un proche influent de l’ancien président, notamment sur les questions liées à Israël. La nomination de Charles Kushner à Paris s’inscrit donc dans une logique familiale et politique : placer un fidèle, proche à la fois de Trump et de Netanyahu, dans un poste stratégique.
Avant de se rapprocher de Donald Trump, Charles Kushner était l’un des grands contributeurs du Parti démocrate, soutenant régulièrement ses campagnes. Mais dès 2015, il bascule dans le camp républicain et fait un don de 100 000 dollars au mouvement Make America Great Again. Depuis, il a multiplié les financements en faveur de Trump et de ses alliés. En 2020, cette proximité lui vaut de bénéficier d’une grâce présidentielle signée par Donald Trump, effaçant sa condamnation. Le communiqué justifiait cette décision en mettant en avant ses actions philanthropiques et son engagement auprès de la communauté juive américaine.
Un ambassadeur controversé mais validé par le Sénat
Nommé ambassadeur des États-Unis en France et à Monaco en novembre 2024, Charles Kushner a dû affronter les questions du Sénat américain sur son passé judiciaire. Il reconnaît alors « une très grave erreur » et assure avoir « payé le prix fort ». « Mon erreur de jugement remonte à plus de 20 ans. Elle m’a permis de mûrir et de renforcer mes valeurs », a-t-il plaidé devant la chambre haute. Malgré les critiques, sa nomination est validée par 51 voix contre 45, grâce à la majorité républicaine. Donald Trump lui-même a salué son choix sur Truth Social : « Charles Kushner est un chef d’entreprise, un philanthrope et un négociateur hors pair. Ensemble, nous renforcerons le partenariat avec notre plus ancien allié, la France. »
Fils de survivants de la Shoah, Charles Kushner est aussi un grand donateur de fondations juives et un soutien indéfectible d’Israël. Il a financé des écoles, des synagogues et des centres communautaires, parfois en y apposant le nom de ses parents. Ses liens avec Benjamin Netanyahu sont anciens et solides. Ce rapprochement explique en partie la ligne dure qu’il a adoptée à Paris sur la question de l’antisémitisme et sur la reconnaissance de l’État palestinien. En relayant presque mot pour mot les critiques du Premier ministre israélien contre Emmanuel Macron, il a placé la diplomatie américaine dans une position délicate.
Une nomination qui fragilise les relations franco-américaines
La convocation de Charles Kushner par le Quai d’Orsay illustre les tensions récurrentes entre Paris et Washington depuis le retour de Donald Trump au pouvoir. Déjà fragilisées par des différends commerciaux et par des divergences sur la guerre en Ukraine et le Proche-Orient, les relations franco-américaines se compliquent désormais sur le terrain symbolique de la lutte contre l’antisémitisme.
Alors qu’il devait incarner le lien entre les deux capitales, Charles Kushner s’est imposé en quelques semaines comme une source de crispation. Son profil, mélange d’homme d’affaires sulfureux, de financier politique et de relais d’influence pro-israélienne, en fait un ambassadeur atypique, mais aussi imprévisible.