À 39 ans, Sébastien Lecornu succède à François Bayrou à Matignon.
Plus jeune Premier ministre de la Ve République, ce proche d’Emmanuel Macron incarne la continuité d’un pouvoir fragilisé. Entre critiques acerbes de la gauche, prudence calculée de la droite et défiance de l’extrême droite, sa nomination ouvre une nouvelle séquence politique à haut risque.
Le parcours d’un fidèle, de l’Eure à Matignon
Né en 1986 à Vernon, dans l’Eure, Sébastien Lecornu a entamé très tôt une carrière politique. Adhérent à l’UMP dès l’âge de 16 ans, il gravit rapidement les échelons locaux, jusqu’à devenir maire de Vernon à seulement 27 ans, puis président du conseil départemental de l’Eure un an plus tard. Ce parcours éclair fait de lui l’un des visages les plus précoces de la droite locale, soutenu par Bruno Le Maire.En 2017, il choisit de rallier Emmanuel Macron après l’élection présidentielle. Entré au gouvernement comme secrétaire d’État à la Transition écologique, il enchaîne ensuite les portefeuilles : ministre des Collectivités territoriales, ministre des Outre-mer, puis ministre des Armées à partir de 2020.
Sa longévité gouvernementale impressionne : il est le seul ministre à avoir traversé tous les remaniements depuis 2017, ce qui témoigne de la confiance indéfectible que lui accorde le président. Au ministère des Armées, il a supervisé la mise en place de la nouvelle Loi de programmation militaire, un plan colossal de 413 milliards d’euros destiné à renforcer les capacités de défense française. C’est dans ce rôle qu’il s’est imposé comme un pilier de la stratégie macroniste, sur fond de guerre en Ukraine et de montée des tensions internationales. Passionné de questions militaires, ancien réserviste de la gendarmerie, il revendique un style « old school », amateur de cérémonies patriotiques, de références à Michel Audiard et de moments whisky-cigares avec ses proches, dont Gérald Darmanin. À 39 ans, il affiche le profil d’un homme de confiance, discipliné, plus technicien que tribun.
Des critiques virulentes à gauche, une droite prudente, un RN ironique
Si sa nomination a été saluée dans le camp présidentiel comme un choix de stabilité, elle a immédiatement déclenché une vague de critiques dans l’opposition. La gauche dénonce une « provocation » et un « passage en force ». Jean-Luc Mélenchon a parlé d’une « triste comédie de mépris du Parlement », tandis que Mathilde Panot a rappelé la gestion musclée de Lecornu face aux Gilets jaunes et aux crises sociales en Outre-mer. Manuel Bompard a dénoncé un « déni de démocratie », appelant à la fois à la mobilisation dans la rue et au dépôt d’une motion de destitution. Les écologistes, par la voix de Marine Tondelier, estiment que cette nomination incarne un « non-respect total des Français » et prédisent une aggravation des tensions sociales.
Louis Boyard, de son côté, a critiqué le choix d’un ancien ministre des Armées, accusant Emmanuel Macron de « donner un ministre de la guerre à la jeunesse qui demandait l’écologie et la justice sociale ». À l’extrême droite, Marine Le Pen a raillé un président « bunkerisé avec son petit carré de fidèles » qui « tire la dernière cartouche du macronisme ». Jordan Bardella a adopté un ton plus pragmatique, promettant de « juger Lecornu sur ses actes », mais rappelant qu’« on ne change pas une équipe qui perd ». La droite républicaine, quant à elle, s’est montrée plus prudente. Laurent Wauquiez a reconnu partager le constat sur la gravité de la situation économique, tout en se montrant sceptique sur les solutions proposées. D’autres, comme Édouard Philippe, estiment que Lecornu a les qualités nécessaires pour « discuter et trouver des accords » avec les différents groupes parlementaires.
Un choix risqué pour Emmanuel Macron
La nomination de Sébastien Lecornu intervient dans un climat politique particulièrement instable. Après la chute du gouvernement Bayrou, Emmanuel Macron a voulu miser sur un fidèle, capable d’assurer une continuité institutionnelle et de maintenir le cap budgétaire qu’il juge vital. Mais ce choix comporte des risques : le nouveau Premier ministre devra composer avec une Assemblée nationale éclatée, une opposition vent debout et une rentrée sociale déjà marquée par l’appel au mouvement « Bloquons tout ».
Dans son premier message en tant que Premier ministre, publié sur X, Sébastien Lecornu a promis de servir « la défense de l’indépendance et de la puissance » de la France, « le service des Français » et « la stabilité politique et institutionnelle ». Des mots qui visent à rassurer, mais qui ne suffisent pas à calmer la colère des opposants. À 39 ans, Lecornu incarne à la fois la jeunesse et la loyauté, mais il devra rapidement prouver sa capacité à rassembler au-delà du cercle présidentiel. Sa nomination, loin de clore la crise politique, pourrait bien devenir le point de départ d’une nouvelle confrontation entre l’exécutif et des oppositions déterminées à faire vaciller un pouvoir fragilisé.