Emprisonné en Algérie depuis novembre 2024, l’écrivain franco-algérien a fermement rejeté sa candidature déposée par le groupe d’extrême droite « Patriotes pour l’Europe » au Parlement européen. Il dénonce une récupération politique contraire à ses valeurs et rappelle son engagement constant pour la tolérance et la liberté.

C’est une initiative qui a suscité la polémique dès son annonce. Le groupe « Patriotes pour l’Europe » (PfE), présidé par Jordan Bardella et qui réunit 85 eurodéputés, a proposé le nom de Boualem Sansal au prestigieux Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, décerné chaque année par le Parlement européen.

Le problème ? L’écrivain de 80 ans, détenu depuis près d’un an en Algérie, n’a jamais été consulté. Par l’intermédiaire de son épouse, il a fait savoir qu’il refusait catégoriquement cette nomination. Dans un communiqué transmis à l’AFP, son éditeur Antoine Gallimard a précisé : « Malgré la très grande estime dans laquelle il tient ce prix, Boualem Sansal considère comme irrecevable cette démarche insidieusement partisane. »

« L’esprit de tolérance » contre la récupération politique

Pour l’écrivain, ce geste s’apparente à une tentative d’instrumentalisation. Toujours selon Antoine Gallimard, Boualem Sansal estime que « son engagement continu en faveur de la paix et de la liberté ne justifie en aucun cas qu’on associe son nom et ses écrits aux visées d’un mouvement dont la radicalité est étrangère à l’esprit de tolérance qu’il a toujours promu ». L’éditeur a également prévenu que si, par hypothèse, cette candidature était retenue par le Parlement européen, les représentants de l’écrivain en France refuseraient le prix. Cette déclaration ferme marque la volonté de Sansal de protéger son indépendance intellectuelle et de se tenir à distance des clivages politiques européens. Boualem Sansal est l’un des écrivains algériens francophones les plus importants de sa génération. Auteur de romans marquants comme Le Village de l’Allemand ou 2084. La fin du monde, il s’est imposé comme une voix critique à l’égard des régimes autoritaires, des idéologies totalitaires et des dérives islamistes. 

Son écriture, mêlant rigueur intellectuelle et engagement citoyen, lui a valu de nombreuses distinctions littéraires internationales. Mais ses prises de position lui ont aussi attiré de vives inimitiés en Algérie. Depuis novembre 2024, il est emprisonné à Alger, condamné à cinq ans de prison ferme pour « atteinte à l’unité nationale ». Ses juges lui reprochent notamment des déclarations faites à l’automne 2024, lors d’une interview au média français d’extrême droite Frontières, où il affirmait que l’Algérie avait hérité, sous la colonisation française, de territoires appartenant historiquement au Maroc. Malade et âgé de 80 ans, l’écrivain est aujourd’hui retenu en détention, ce qui a déclenché une vague de soutien en France et à l’étranger.

Le poids symbolique du Prix Sakharov

La semaine dernière, au festival du livre de Nancy, plusieurs auteurs, dont Paule Constant, Kamel Daoud et le prix Nobel J.M.G. Le Clézio, ont pris publiquement position pour réclamer sa libération. À Paris, un collectif citoyen appelle à un rassemblement pacifique mercredi soir, tandis qu’une adaptation théâtrale de Le Village de l’Allemand sera jouée en hommage à l’écrivain. Cette mobilisation intellectuelle s’accompagne de prises de position politiques. En août, Emmanuel Macron a déclaré que la France devait agir « avec plus de fermeté et de détermination » vis-à-vis de l’Algérie, citant explicitement le « sort réservé » à Boualem Sansal et au journaliste français Christophe Gleizes, lui aussi détenu à Tizi-Ouzou.

Créé en 1988, le Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit est l’une des plus hautes distinctions décernées par le Parlement européen. Il récompense des personnalités ou organisations ayant défendu les droits humains et la liberté d’expression. Parmi ses lauréats figurent Nelson Mandela, Malala Yousafzai ou encore l’opposante biélorusse Svetlana Tikhanovskaïa. Que Boualem Sansal ait été proposé par un groupe d’extrême droite représente donc un paradoxe : un écrivain reconnu pour son humanisme et sa défense de la tolérance se retrouve instrumentalisé par un courant politique dont il rejette les valeurs. C’est cette contradiction qu’il a voulu dénoncer, malgré son emprisonnement.

Une affaire à la croisée de la littérature et de la politique

En refusant sa nomination par les Patriotes pour l’Europe, Boualem Sansal rappelle que sa voix ne saurait être confisquée ni détournée. Son cas met en lumière les tensions actuelles autour de la liberté d’expression, de l’instrumentalisation politique des symboles et des relations diplomatiques entre la France et l’Algérie. Alors que sa santé inquiète et que sa détention se prolonge, l’écrivain reste, même depuis sa cellule, une figure de résistance intellectuelle. Son refus de céder à une récupération politique réaffirme la cohérence de son parcours : une vie consacrée à la défense de la liberté et de la vérité.

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