En septembre 2025, le gouvernement français a confié à TotalEnergies, en partenariat initial avec l’allemand RWE, la responsabilité de concevoir et exploiter le plus grand parc éolien en mer jamais entrepris dans l’Hexagone, baptisé Centre Manche 2, situé face à Ouistreham, dans le Calvados. D’une puissance estimée à 1,5 GW, ce parc vise à alimenter près d’un million de foyers en électricité bas carbone, et représente un investissement de l’ordre de 4,5 milliards d’euros.
Ce choix politique et industriel ne relève pas seulement de la transition énergétique : il est aussi le reflet des ambitions de la France en matière d’indépendance énergétique, de lutte contre le changement climatique et de relance industrielle. Pourtant, ce projet s’inscrit dans un contexte de défis multiples : régulation complexe, incertitudes financières, acceptabilité locale, et concurrence géopolitique. Dans cet article, nous examinerons d’abord les atouts et les perspectives du projet Centre Manche 2, puis les obstacles à surmonter pour que cette initiative ne reste pas un symbole, mais devienne un moteur réel de transition.
Les atouts et perspectives du projet Centre Manche 2
Un jalon majeur pour la transition énergétique
Conçu à une distance d’environ 40 kilomètres des côtes normandes, le parc prendra place sur un site marin d’envergure, hors de vue directe, limitant les impacts visuels tout en bénéficiant d’un potentiel éolien élevé. Le 1,5 GW prévu équivaut à la production d’un réacteur nucléaire de puissance moyenne, ce qui en fait un levier significatif dans la stratégie de mix énergétique français.
Pour TotalEnergies, il s’agit aussi d’un retour dans l’éolien offshore, avec un engagement industriel de long terme. Le groupe prévoit que jusqu’à 2 500 emplois seront mobilisés sur le chantier, et que la composante industrielle devra privilégier la fabrication européenne des composants. Par ailleurs, le tarif annoncé de 66 €/MWh place l’énergie produite dans une grille compétitive vis-à-vis du coût de l’électricité sur le marché.
Sur le plan territorial, ce projet est une opportunité pour la Normandie, qui pourrait accueillir des bassins industriels, de sous-traitance, ou des centres logistiques autour de la filière éolienne. Le gouvernement entend en faire un catalyseur de développement industriel dans les zones littorales. Enfin, sur le plan écologique, cette infrastructure s’inscrit dans l’ambition nationale d’atteindre 18 GW d’éolien en mer d’ici 2035 et 45 GW d’ici 2050.
En résumé, Centre Manche 2 est plus qu’un parc : c’est une articulation entre souveraineté énergétique, ambition écologique et relance industrielle territoriale.
Défis, risques et conditions de réussite
Obstacles réglementaires, financiers et techniques
La route vers l’achèvement de Centre Manche 2 sera jonchée de défis. D’abord, les encadrements réglementaires : le secteur de l’éolien en mer est soumis à des procédures longues d’enquête publique, d’études d’impact, de compatibilité avec les usages maritimes (pêche, navigation) et les milieux naturels. Chaque retard administratif peut repousser un calendrier déjà ambitieux.
Ensuite, les contraintes financières sont fortes. Le contexte de hausse des taux d’intérêt, les incertitudes macroéconomiques et la volatilité des coûts des matières premières pèsent sur le budget des grands projets industriels. On note que le partenaire initial RWE envisage de se retirer, invoquant certains risques réglementaires et macroéconomiques. TotalEnergies devra donc absorber seul ou trouver d’autres partenaires et sécuriser les financements.
Techniquement, les défis ne sont pas moindres. Construire en mer, assembler d’immenses turbines offshore, poser les câbles sous-marins, garantir la résistance aux conditions maritimes — tout cela mobilise des technologies pointues, une logistique complexe et des partenariats solides. De plus, le raccordement au réseau terrestre, la gestion de la maintenance en environnement marin et la garantie de la durabilité des installations sont des enjeux critiques.
Acceptabilité locale, concurrence géopolitique et crédibilité publique
Un projet de cette ampleur ne se fait pas sans une acceptabilité locale. Les collectivités concernées, les associations environnementales, les acteurs du littoral (pêche, tourisme) doivent être concertés pour éviter les oppositions. Les impacts visuels, l’empreinte écologique ou les perturbations temporaires des usages maritimes devront être maîtrisés pour que le projet gagne la confiance des riverains.
Sur la scène internationale, la concurrence est rude. Les grands groupes dans l’énergie (allemands, danois, chinois) développent leurs propres parcs offshore, avec des politiques de soutien étatiques puissantes. TotalEnergies doit prouver qu’il peut porter ce projet dans un cadre français exigeant tout en tenant la comparaison avec les grands acteurs mondiaux.
Sur le plan politique et symbolique, ce projet incarne les promesses de transition écologique des gouvernements successifs. Mais si les retards s’accumulent ou si les coûts finaux explosent, le projet pourrait devenir un fardeau. Le gouvernement, par sa décision de délégation à TotalEnergies, met donc sa crédibilité en jeu. Le Premier ministre en exercice devra piloter avec rigueur pour que Centre Manche 2 ne reste pas une promesse lointaine, mais un succès concret.
La décision de confier à TotalEnergies le parc Centre Manche 2 représente un moment clé dans le paysage énergétique français. Cette initiative allie vision écologique, ambition industrielle et réponse aux défis énergétiques contemporains. Si elle parvient à être réalisée dans les temps et selon les coûts prévus, elle pourrait marquer un tournant dans la transition bas carbone de la France.
Cependant, le chemin est semé d’embûches : régulations complexes, financements incertains, défis techniques, acceptabilité sociale et concurrence internationale. Le succès de ce projet dépendra de la capacité des acteurs publics et privés à collaborer efficacement, à anticiper les risques et à maintenir la confiance du public.
Dans les années à venir, Centre Manche 2 sera plus qu’un chantier : ce sera un test de la capacité de la France à conjuguer écologie, souveraineté énergétique et relance industrielle dans un monde en mutation rapide.