Depuis le 27 septembre, un mouvement inédit, né en ligne et porté par une jeunesse marocaine ultra-connectée, secoue le pays.
Sous la bannière « GenZ 212 », des milliers de jeunes réclament de meilleures écoles, des hôpitaux plus accessibles et une lutte ferme contre la corruption. En quelques jours, les manifestations se sont propagées dans plusieurs grandes villes et jusque dans des localités rurales, déclenchant des heurts avec les forces de l’ordre et un débat national sur la place de la jeunesse dans le contrat social marocain.
Une contestation inédite, structurée en ligne
Les premières mobilisations ont débuté de façon pacifique, avant que certaines ne dégénèrent. Des tensions particulièrement vives ont été rapportées dans la région d’Agadir : à Leqliaa, deux personnes ont perdu la vie mercredi soir, tuées par balles après que des gendarmes ont affirmé avoir agi « en état de légitime défense » pour empêcher la saisie de leurs armes. Selon le ministère de l’Intérieur, le bilan s’élève à 409 interpellations, dont 193 dossiers déjà renvoyés en audience, ainsi qu’à 263 agents blessés et 23 civils blessés. « Nous agirons avec retenue et sang-froid, en évitant toute provocation », a déclaré le ministère, tout en affirmant garantir le droit de manifester « dans le cadre de la loi ».
À Casablanca, Oujda ou Taza, les cortèges sont restés non violents, scandant des slogans contre la corruption et exigeant la démission du Premier ministre Aziz Akhannouch. À l’inverse, dans certaines localités, des postes de police, des bâtiments publics et même des agences bancaires ont été visés par des incendies. Les organisateurs du collectif affirment, eux, rejeter toute violence et cibler exclusivement « le gouvernement, pas les forces de l’ordre », selon des propos rapportés par Reuters. « Je regardais le match PSG-Real quand des jeunes ont commencé à jeter des pierres sur les boutiques. On est restés dans le café, portes closes », a témoigné à Reuters Abdeslam Chegri, militant local à Biougra.
Pourquoi maintenant ?
Le malaise qui secoue le Maroc n’est pas nouveau, mais il a pris une ampleur inédite grâce aux réseaux sociaux. Sur TikTok, Instagram et Discord, le mouvement « GenZ 212 » a réussi à fédérer en quelques jours une communauté dépassant les 130 000 membres. Les jeunes y partagent témoignages, revendications et appels à la mobilisation, dans un langage direct et accessible à leur génération. Les déclencheurs sont multiples : des hôpitaux sous-dotés, en particulier dans la région d’Agadir, des écoles surchargées, et plus largement, des inégalités territoriales criantes.
La colère s’est cristallisée autour des choix budgétaires de l’État : alors que le Maroc se prépare à accueillir la Coupe du monde 2030 aux côtés de l’Espagne et du Portugal, de nombreux jeunes dénoncent des investissements massifs dans les infrastructures sportives au détriment des services publics. Le slogan le plus repris résume ce ressentiment : « Des stades, on en a. Les hôpitaux, où sont-ils ? »
Une jeunesse entre espoirs et désillusions
Le paradoxe est fort : alors que le pays affiche une croissance économique de +5,5 % au deuxième trimestre 2025 (selon le Haut-commissariat au Plan) et une inflation maîtrisée, le chômage des jeunes atteint 35,8 %. Une génération entière peine à se projeter dans un avenir stable, ce qui nourrit un sentiment d’exclusion et d’injustice. Les ONG pointent du doigt la répression. Amnesty International appelle les autorités à « engager le dialogue avec la jeunesse et répondre à ses droits sociaux, économiques et culturels ». Plusieurs associations locales dénoncent des arrestations arbitraires et des violences policières.
Sur le plan international, le contexte ajoute une dimension géopolitique. Washington a récemment réaffirmé son soutien aux investissements américains « dans tout le Maroc, y compris au Sahara occidental », ce que Rabat interprète comme une reconnaissance implicite de sa souveraineté sur ce territoire disputé. L’Union européenne, en revanche, reste plus divisée sur ce dossier.
Une épreuve politique pour le gouvernement
Pour l’exécutif dirigé par Aziz Akhannouch, milliardaire et chef du Rassemblement national des indépendants (RNI), cette contestation constitue un test majeur. La défiance exprimée dans la rue s’accompagne d’une remise en cause de sa légitimité, à mi-mandat. Les prochaines semaines seront décisives : le pouvoir choisira-t-il d’ouvrir un dialogue avec la jeunesse ou de privilégier la voie sécuritaire ? Dans les rues et sur les réseaux, « GenZ 212 » continue de mobiliser, donnant le ton d’une nouvelle génération politique qui refuse de rester en marge.