Le 6 octobre 2025 restera comme une date politiquement dramatique de la Ve République. Ce matin-là, Sébastien Lecornu, nommé Premier ministre le 9 septembre, a remis sa démission à Emmanuel Macron, une décision acceptée par l’Élysée. Cette chute subite marque l’une des administrations les plus éphémères de l’histoire politique française, accentuant la crise institutionnelle dans un paysage déjà fracturé.
Les motivations officielles évoquent l’impossibilité de gouverner dans un contexte d’appétits partisans croissants, de désaccords autour de la composition du gouvernement et d’un parlement sans majorité claire. Le départ inattendu de Lecornu invite à s’interroger : quels sont les déclencheurs, quelles leçons tirer pour le macronisme, et quelles trajectoires politiques s’ouvrent désormais pour la France ?
Dans ce contexte, nous examinerons d’abord la genèse et les éléments saillants de cette démission — ses causes internes et contextuelles — puis les conséquences immédiates et les scénarios qui s’offrent au pouvoir, dans une France en tension.
Les causes internes et le contexte politique d’une démission précipitée
Une nomination fragile dès l’origine
Lecornu avait été nommé Premier ministre dans un contexte délicat, suite à la chute du gouvernement Bayrou après un vote de défiance. Le paysage parlementaire était déjà fragmenté, sans majorité claire, rendant toute gouvernance difficile. Dès sa nomination, il avait renoncé à utiliser l’article 49.3 pour imposer le budget, parant à l’idée d’un exécutif trop autoritaire, mais cette méthode risquait aussi de fragiliser son autorité pour gouverner.
La composition du gouvernement, annoncée le 5 octobre, a déclenché une vague de critiques. Plusieurs acteurs politiques — à droite comme à gauche — ont dénoncé le manque de rupture, la présence de personnalités trop liées à l’ancien ordre ou encore l’absence de direction claire. Dans son allocution, Lecornu lui-même a évoqué des “appétits partisans”, regrettant que certaines formations politiques ne soient pas prêtes à composer avec l’esprit de compromis.
Le point de rupture : impossibilité d’exercer dans les conditions existantes
Selon ses propres mots, il estimait que « les conditions n’étaient plus remplies pour que je puisse exercer les fonctions de Premier ministre ». Il pointe du doigt la difficulté de bâtir un socle politique commun dans une Assemblée où chaque parti refuse de céder. La décision de quitter l’option 49.3, voulue comme un geste de méthode démocratique, l’a privé d’un moyen de contrainte en cas d’impasse parlementaire.
Les menaces de motion de censure, la pression des Républicains (LR) qui menaçaient de quitter le gouvernement, la défiance manifeste d’une partie de la majorité et l’opposition unanime ont rendu toute marge de manœuvre quasi inexistante. Le gouvernement « éclair » a donc cédé devant la réalité politique : sans soutien parlementaire crédible, il était condamné à l’impuissance.
Conséquences immédiates et scénarios pour l’avenir politique
Instabilité institutionnelle et réactions en chaîne
Avec cette démission, le gouvernement Lecornu entre dans l’histoire comme l’un des plus courts sous la Ve République. Le marché a réagi violemment : l’indice CAC-40 a chuté de près de 2 %, les rendements d’État ont bondi, signe de la nervosité des investisseurs face à l’instabilité politique.
Les forces politiques, à gauche et à l’extrême droite, en profitent pour réclamer des élections anticipées ou la démission d’Emmanuel Macron. Jean-Luc Mélenchon presse l’examen immédiat d’une motion de destitution, le RN appelle à une dissolution de l’Assemblée. Certains observateurs estiment que cette crise renforce la tentation de centrismes ou d’alliances impensées, mais le temps est désormais compté pour l’Élysée.
Scénarios ouverts pour la majorité et l’exercice du pouvoir
Deux grands scénarios semblent se dégager :
Remaniement rapide et recomposition pragmatique
Macron pourrait nommer un nouveau Premier ministre issu d’une coalition plus large, capable de rassembler des alliances circonstancielles (centre, gauche modérée). L’impératif sera de sécuriser une majorité stable, quitte à céder sur des point clefs du programme : retraites, fiscalité, pouvoir d’achat.Dissolution de l’Assemblée et retour aux urnes
Si aucun compromis n’est possible, une crise constitutionnelle pourrait aboutir à une dissolution anticipée. Face à l’impuissance gouvernementale, Macron pourrait choisir de redonner la parole aux Français pour rebâtir un mandat clair.
Dans les deux cas, la stratégie sera cruciale : trop de concessions risquent d’éroder l’identité de la macronie, tandis que l’entêtement pourrait paralyser l’État.
La démission de Sébastien Lecornu le 6 octobre 2025 n’est pas un simple changement de Premier ministre : c’est une fracture politique dans un contexte déjà fragile, le symptôme d’un système en crise de gouvernabilité. Sans majorité fiable, sans alliances solides et sans méthode de passage de loi crédible, l’exécutif s’est cherché un équilibre qui lui a été refusé.
Désormais, l’enjeu est stratégique : reconstruire la légitimité, trouver les leviers d’action sans recourir systématiquement à des mécanismes constitutionnels de contrainte, et surtout réaliser des actes parlant pour restaurer la confiance publique. Le gouvernement suivant, ou les élections à venir, porteront le test ultime : saura-t-on sortir de cette logique de crise ?
La France, à travers cette crise, est confrontée à une redéfinition de ses équilibres institutionnels. Entre recomposition politique, appel au compromis et retour à l’électorat, le chemin est incertain. Mais cette turbulence impose une vérité : gouverner ne se fait plus uniquement par décision verticale, mais par l’art du compromis dans un paysage politique fragmenté.