C’est une découverte qui pourrait transformer à la fois la lutte contre le cancer et le futur des vaccins à ARN messager. Selon une étude présentée au congrès 2025 de la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO) à Berlin, les vaccins Covid-19 à ARN messager — ceux de Moderna et de Pfizer/BioNTech — pourraient renforcer l’efficacité des immunothérapies utilisées dans certains cancers agressifs, comme le cancer du poumon ou le mélanome métastatique.
« L’aspect vraiment passionnant de notre travail est qu’il laisse entrevoir la possibilité que des vaccins largement disponibles et peu coûteux puissent améliorer considérablement l’efficacité de certaines immunothérapies », explique le Dr Adam Grippin, chercheur au MD Anderson Cancer Center de l’Université du Texas, coauteur de l’étude.
Des patients mieux protégés et une survie doublée
Les chercheurs ont analysé les données de plus de 900 patients atteints de cancers avancés, dont certains avaient reçu un vaccin à ARN messager dans les 100 jours suivant le début de leur traitement immunothérapeutique.
Les résultats sont spectaculaires.
- Chez les patients atteints d’un cancer du poumon non à petites cellules, la survie médiane atteint 37,3 mois chez les vaccinés, contre 20,6 mois pour ceux qui ne l’étaient pas.
- Chez les patients atteints de mélanome métastatique, plus de la moitié des malades vaccinés étaient encore en vie trois ans après le début du traitement, un chiffre inédit.
En d’autres termes, la probabilité de survie à trois ans est multipliée par deux chez les patients vaccinés contre le Covid. « Nous espérons que les vaccins à ARN messager pourront non seulement améliorer les résultats des patients traités par immunothérapie, mais aussi apporter les bénéfices de ces traitements à ceux dont la maladie résistait jusque-là », souligne le Dr Grippin.
Un mécanisme biologique cohérent
Le phénomène observé n’est pas un hasard. Dans des études précliniques, les chercheurs avaient déjà remarqué que les vaccins à ARN messager — en stimulant fortement le système immunitaire — pouvaient amplifier la réponse antitumorale des médicaments anticancéreux de type Keytruda (Merck) ou Opdivo (Bristol Myers Squibb).
Ces médicaments, appelés inhibiteurs de points de contrôle immunitaire, agissent en bloquant une protéine (PD-L1) qui empêche normalement le système immunitaire d’attaquer les cellules cancéreuses. Or, selon l’équipe américaine, les vaccins Covid à ARN messager pourraient augmenter temporairement la production de cette protéine, rendant les tumeurs plus visibles pour le système immunitaire et donc plus vulnérables à ces thérapies ciblées.
« Les améliorations de survie étaient les plus fortes chez les patients dont les tumeurs exprimaient peu de PD-L1, c’est-à-dire ceux qui répondaient d’ordinaire mal au traitement », précisent les auteurs.
Un coup de projecteur pour Moderna
Cette étude tombe à point nommé pour Moderna, dont le cours de Bourse a fortement chuté ces derniers mois après l’abandon du développement d’un autre vaccin expérimental. Le laboratoire américain travaille depuis plusieurs années sur des vaccins à ARN messager personnalisés contre le cancer, capables d’entraîner le système immunitaire à reconnaître les mutations propres à chaque tumeur.
Ces nouveaux résultats, bien qu’indirects, renforcent la crédibilité de cette stratégie.
Ils laissent entrevoir un futur où les vaccins ARN ne serviraient plus seulement à prévenir des virus, mais aussi à renforcer les traitements anticancéreux existants. « C’est une validation scientifique majeure pour la plateforme ARN messager », estime un analyste du secteur pharmaceutique. « Cela montre que cette technologie peut dépasser le cadre du Covid. »
Une découverte accueillie avec prudence
Si ces résultats ouvrent la voie à des applications cliniques prometteuses, ils ne constituent pas encore une preuve définitive. Les chercheurs appellent à des essais cliniques prospectifs pour confirmer le lien entre vaccination et survie prolongée. D’autant que la question reste sensible. Aux États-Unis, le ministre de la Santé Robert F. Kennedy Jr. a publiquement mis en doute la sécurité et l’efficacité des vaccins à ARN messager, en contradiction avec le consensus scientifique. « Ces déclarations sont regrettables », a réagi le Dr Grippin. « Elles entretiennent la méfiance alors que la recherche démontre le contraire. »
Si les conclusions se confirment, elles pourraient modifier profondément la manière dont les oncologues planifient les traitements. Un simple vaccin pourrait devenir un adjuvant thérapeutique, capable de décupler la réponse immunitaire du patient face à la tumeur. Cette découverte s’ajoute à une série d’avancées récentes dans la recherche médicale : notamment l’annonce d’un implant rétinien capable d’inverser partiellement la cécité liée à l’âge, testée avec succès sur 32 patients dans une étude publiée par The New England Journal of Medicine. L’ère de la médecine à ARN messager ne fait peut-être que commencer.
