La Guyane sera-t-elle à nouveau utilisée comme terre d’exil carcéral ? En déplacement à Saint-Laurent-du-Maroni ce week-end, Gérald Darmanin a officialisé la construction d’une prison de 500 places dotée d’un quartier de haute sécurité. Objectif : lutter contre le narcotrafic et la surpopulation carcérale dans ce territoire frontalier du Suriname et du Brésil, devenu un point de transit stratégique pour la cocaïne. Mais l’annonce du ministre, et surtout la présence annoncée de détenus radicalisés et de trafiquants jugés « très dangereux », a fait ressurgir un passé douloureux. À Saint-Laurent, ancienne porte d’entrée du bagne colonial, l’émotion est vive.
Un projet sécuritaire dans une région sous pression
Selon le ministère de l’Intérieur, cette nouvelle prison répond à plusieurs urgences. D’une part, la surpopulation carcérale – avec un taux d’occupation dépassant les 130 % en Guyane – nécessite la création d’infrastructures. D’autre part, le narcotrafic, particulièrement actif dans la région amazonienne, impose une réponse pénale plus adaptée. Le futur établissement comprendra environ 60 places pour des narcotrafiquants classés dangereux et 15 pour des détenus radicalisés condamnés pour terrorisme.
Le ministre justifie cette mesure par la nécessité d’offrir aux citoyens ultramarins les mêmes garanties de sécurité qu’en métropole. Le projet s’inscrit dans un plan de renforcement de la justice et de la sécurité dans les territoires d’outre-mer. « Il ne s’agit pas de recréer un bagne », a-t-il martelé face aux critiques, appelant à éviter les comparaisons historiques qu’il juge « insultantes pour la République ».

Colère des élus locaux, malaise mémoriel
Pourtant, la pilule ne passe pas chez de nombreux élus guyanais. La Collectivité territoriale de Guyane (CTG) a dénoncé un projet imposé sans concertation, y voyant une « reconstitution du bagne de très mauvais goût ». La sénatrice socialiste Marie-Laure Phinera-Horth a rappelé que Saint-Laurent-du-Maroni fut, entre 1850 et 1938, le principal port d’arrivée des forçats envoyés depuis la métropole : « Cette page de l’histoire est tournée. Elle ne doit pas se rouvrir. »
Même tonalité du côté de la maire de la commune, Sophie Charles, qui a interpellé le ministre en personne. À gauche, Jean-Luc Mélenchon a apporté son soutien à la collectivité guyanaise, dénonçant un « nouveau bagne pour criminels endurcis ». Nicolas Mayer-Rossignol, maire PS de Rouen, a lui aussi émis des réserves : « Est-ce que ce sera suffisant pour enrayer la gangrène du narcotrafic ? Absolument pas. » Seul soutien notable au sein de la majorité : Clément Beaune, haut-commissaire au Plan, qui a défendu le projet sur France Info, y voyant un outil de lutte essentiel contre les trafics en zone ultramarine.