Accusé du meurtre de son épouse Delphine, disparue en décembre 2020, Cédric Jubillar joue sa vie devant la cour d’assises du Tarn.
Ce jeudi 16 octobre, ses avocats ont livré une plaidoirie-fleuve pour obtenir son acquittement, dénonçant « un désastre judiciaire annoncé » et « une machine à broyer » qui aurait broyé un homme plus qu’elle n’aurait cherché la vérité.
« Les derniers remparts de ce cirque judiciaire »
Après les réquisitions du ministère public, qui a demandé trente ans de réclusion criminelle, la défense de Cédric Jubillar a pris la parole pendant plus de trois heures, dans une salle d’audience suspendue au fil de la voix d’Emmanuelle Franck. L’avocate a demandé aux jurés d’être, selon ses mots, « les derniers remparts de ce cirque judiciaire ».
Pour elle, cette affaire illustre une justice lancée à pleine vitesse sur de mauvaises pistes, incapable de supporter le vide des preuves : « Cédric a mis depuis quatre ans le pied dans une machine à broyer. » Son ton est grave, parfois indigné, souvent ému. En s’adressant directement aux jurés, elle martèle : « Il faut être sûr et certain pour dire à deux enfants que leur père a tué leur mère. Et peut-on l’être ? »
Un dossier sans corps, sans scène de crime, sans ADN
Depuis le début du procès, la défense s’échine à démonter un dossier qu’elle juge bâti sur du sable. Aucune trace de sang, aucune preuve scientifique, aucun aveu : Delphine Jubillar, infirmière de 33 ans, a disparu dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020, sans qu’on ait jamais retrouvé ni son corps, ni le moindre indice matériel. L’accusation s’appuie donc sur un faisceau d’éléments circonstanciels : des cris entendus dans la nuit, un téléphone éteint, des lunettes cassées, des incohérences dans les déclarations du mari.
Mais pour Me Franck, tout cela relève de la fiction : « On fabule, on invente une histoire. On essaie de faire rentrer des ronds dans des carrés. » Elle dénonce les « manquements » de l’enquête, le manque de rigueur dans les expertises et la conviction précoce des gendarmes : « Rien de pire que des gendarmes qui ont des certitudes de bonne foi mais qui, pour combler les vides, font des choses de mauvaise foi. »
L’accusation a évoqué un “pétage de plombs”, une explosion de colère qui aurait conduit à un meurtre impulsif dans le contexte d’un couple en crise. Mais l’avocate démonte cette hypothèse en s’appuyant sur la logique même des faits : « Un pétage de plombs, c’est ce qu’on appelle un crime passionnel, celui qui laisse le plus de traces, parce qu’on ne contrôle rien, on éclabousse tout. Or, ici, il n’y a rien. »Aucun sang, aucune lutte, aucune trace ADN de Delphine sur les lieux. Pour la défense, l’absence totale de preuve est en soi une preuve du doute, et ce doute doit profiter à l’accusé.
Deux enfants au cœur du drame
Tout au long de sa plaidoirie, Me Franck a rappelé que derrière ce procès, deux enfants attendent encore des réponses : Louis, 11 ans, et Elyah, 6 ans. « Derrière ce procès spectacle, il y a deux invisibles, deux orphelins de mère, à qui l’on dit que papa a tué maman. Il faut être sûr et certain pour leur dire cela. Et peut-on l’être ? » Elle reproche à l’accusation d’avoir instrumentalisé la parole du fils aîné, qui n’avait que six ans au moment de la disparition de sa mère. Une parole fragile, selon elle, devenue au fil des ans un argument émotionnel plus qu’un élément de preuve. Dans l’après-midi, c’est Me Alexandre Martin, l’autre avocat de la défense, qui a pris le relais. Lui, a choisi un registre plus humain, presque intime.
Il a décrit un homme abîmé par quatre années d’isolement, enfermé seul dans une cellule de 9 m², « tournant comme un rat dans une cage ». « Vous voulez qu’on sorte indemne d’un tel traitement ? » interroge-t-il, évoquant la solitude, l’attente et le poids du soupçon permanent. Il a également rappelé l’absence totale d’antécédents violents : « Il n’y a pas le moindre témoignage de violence physique sur Delphine. Pas le moindre message d’injure. » Et de conclure, face aux jurés : « Vous pouvez anéantir un homme. Soyez prudents, soyez exigeants. Votre devoir dicte d’acquitter Cédric Jubillar. »
Ce vendredi, la parole sera donnée une dernière fois à l’accusé, resté jusqu’ici impassible dans le box. Puis les trois magistrats et les six jurés se retireront pour délibérer.
Sept voix sur neuf seront nécessaires pour le déclarer coupable. Si trois jurés votent « non coupable », Cédric Jubillar sera acquitté. Le verdict est attendu dans les prochaines heures. Quelle que soit l’issue, cette affaire aura laissé une empreinte durable dans la mémoire judiciaire française : celle d’un procès sans corps, sans aveu, mais saturé de certitudes, d’émotion et de doutes.