Le documentaire Kaizen d’Inoxtag, disponible gratuitement sur YouTube, est un véritable phénomène. En retraçant l’ascension de l’Everest par le jeune youtubeur de 22 ans, le film a captivé plus de 20 millions de spectateurs en ligne. Sa diffusion en salle, organisée sur deux jours seulement, a attiré plus de 340 000 spectateurs, un record pour ce type de projet. Pourtant, ce succès n’est pas sans conséquences pour l’industrie du cinéma français, mettant en lumière des tensions autour des règles de diffusion et de la chronologie des médias.

Un documentaire qui bouleverse les règles du cinéma

Kaizen, projet pharaonique mêlant aventure et dépassement de soi, a généré des débats animés au sein de la communauté de l’alpinisme et du cinéma. Si certains dénoncent l’aspect trop commercial et « égocentrique » du projet, d’autres louent la performance et la capacité d’Inoxtag à rendre accessible un rêve tel que l’Everest. Mais c’est surtout l’industrie cinématographique qui est sur le qui-vive. En effet, la diffusion en salle du documentaire a dépassé la limite des 500 séances autorisées pour un tel événement, atteignant plus de 800 projections en seulement deux jours. Ce dépassement a irrité le Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC), qui craint que cette pratique ne crée un précédent dangereux.

Le CNC reproche au distributeur MK2 d’avoir sciemment ignoré les règles établies pour la diffusion en salles. En France, la chronologie des médias impose une série de délais avant qu’un film puisse être proposé sur d’autres plateformes. Ce système vise à protéger les salles de cinéma de la concurrence des plateformes de streaming et à garantir une économie viable pour le secteur. Or, le modèle de Kaizen – d’abord en salle, puis immédiatement en ligne – pourrait fragiliser cet équilibre. Selon Olivier Henrard, président par intérim du CNC, « Kaizen pourrait devenir un précédent fâcheux, remettant en cause les règles de régulation que l’industrie s’efforce de préserver. »

Un succès populaire, mais à quel prix ?

Malgré les critiques, Kaizen a ramené un public jeune dans les salles, une nouvelle encourageante pour une industrie qui peine parfois à attirer cette tranche d’âge. L’engouement pour le documentaire, dont la projection a été organisée dans des salles de cinéma pleines à craquer, montre un retour en force de l’événementiel cinématographique. Toutefois, plusieurs professionnels craignent que cet enthousiasme ne soit qu’éphémère et ne serve qu’à promouvoir des plateformes numériques.

Des figures comme François Damilano, guide de haute montagne, ou encore Orianne Aymard, alpiniste et autrice, soulignent que le projet d’Inoxtag, bien qu’il ne respecte pas toujours les codes de l’alpinisme traditionnel, possède une force de narration qui résonne avec une nouvelle génération. Damilano, qui a vu le documentaire, critique cependant l’idéologie sous-jacente du film, en particulier le message selon lequel « quand on veut, on peut ». Pour lui, ce type de discours omet les réalités sociales et économiques qui rendent l’accès à ce genre d’exploit inégal. Ce débat autour du mérite et des moyens utilisés pour atteindre l’Everest, avec notamment l’aide de Sherpas, rejoint celui sur la démocratisation des sommets les plus prestigieux.

En parallèle, des alpinistes comme Marc Batard dénoncent les effets néfastes d’un tel projet, notamment en matière de surfréquentation de l’Everest et des risques de banalisation de ces ascensions. Pour Batard, « ce genre de projets alimente une industrie où les agences d’expédition s’enrichissent au détriment de la sécurité des alpinistes ». Pourtant, d’autres figures de l’alpinisme, comme Maxime Chaya, estiment qu’un tel documentaire peut inspirer le dépassement de soi et repousser les limites, sans pour autant nuire à l’authenticité de la montagne.

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