Depuis Singapour, Emmanuel Macron a déclaré que la reconnaissance d’un État palestinien n’était plus seulement une option morale, mais une exigence politique. Il conditionne toutefois cette reconnaissance à une série de garanties et menace Israël de sanctions si la crise humanitaire à Gaza persiste.
En visite officielle à Singapour, dans le cadre de sa tournée en Asie du Sud-Est, Emmanuel Macron a pris tout le monde de court. Lors d’une conférence de presse tenue le vendredi 30 mai, le chef de l’État a martelé que « la reconnaissance d’un État palestinien n’est pas simplement un devoir moral, mais une exigence politique ». Des propos forts, tenus à deux semaines d’une conférence internationale à l’ONU (du 17 au 20 juin à New York), que la France coprésidera aux côtés de partenaires arabes.
Depuis plusieurs mois, plusieurs pays européens — dont l’Irlande, la Norvège et l’Espagne — ont reconnu l’État de Palestine. La France, jusqu’ici prudente, semble désormais préparer l’opinion à un virage diplomatique. Mais pas sans conditions. Le chef de l’Etat a listé une série de prérequis « indispensables » pour qu’un tel État puisse voir le jour et être reconnu par Paris :
- La libération de tous les otages encore détenus par le Hamas.
- La démilitarisation complète du mouvement islamiste.
- L’exclusion du Hamas de la future gouvernance palestinienne.
- Une réforme en profondeur de l’Autorité palestinienne.
- La reconnaissance d’Israël par la Palestine, et de son droit à vivre en sécurité.
- Et enfin, la mise en place d’une architecture de sécurité régionale, garantissant la stabilité à long terme.
Autrement dit, la France ouvre la voie à une reconnaissance, mais à des conditions si strictes qu’elles laissent peu de place à une reconnaissance immédiate. « C’est ce que nous essaierons de consacrer par un moment important le 18 juin ensemble, et j’y serai », a précisé Macron à propos de la conférence à New York.
Sanctions envisagées contre Israël en cas d’inaction humanitaire
Plus qu’une posture diplomatique, Emmanuel Macron a formulé une mise en garde explicite à l’égard d’Israël. Il a dénoncé le « blocus humanitaire » imposé à Gaza, qui empêche l’acheminement de l’aide vitale à la population, et a exigé une réponse immédiate : « dans les prochaines heures et les prochains jours ». À défaut, la France pousserait pour un durcissement de la position collective européenne, y compris la mise en place de sanctions.
« Nous devons appliquer nos propres règles, celles qui conditionnent nos accords d’association à la protection des droits de l’homme », a déclaré le président, en référence directe à l’accord d’association UE-Israël. En clair, si l’État hébreu ne permet pas un accès humanitaire rapide, certains volets de coopération avec l’Union européenne pourraient être suspendus.
Le discours de Macron tranche avec celui, beaucoup plus mesuré, adopté jusque-là. Depuis octobre 2023, la France avait soutenu la nécessité pour Israël de « se défendre » après l’attaque du Hamas, tout en appelant à la retenue. Mais face aux images de famine, de bombardements incessants et à l’enlisement du conflit, le ton a changé.
Une conférence à l’ONU sous haute tension
Du 17 au 20 juin, une conférence internationale sera organisée à New York pour tenter de relancer le processus de paix sur la base de la solution à deux États, dont le principe est désormais réaffirmé par une majorité de pays. La France, qui copréside l’événement, y voit une opportunité diplomatique majeure pour redéfinir les contours de l’avenir palestinien. Emmanuel Macron espère y porter « une parole forte et exigeante » — à la fois à l’adresse d’Israël, mais aussi de l’Autorité palestinienne.
Le président français s’inscrit ici dans une logique d’équilibre instable, cherchant à ne pas rompre totalement avec Israël, tout en se positionnant à l’avant-garde du camp occidental favorable à une résolution politique du conflit. Ce virage pourrait aussi marquer une tentative d’influer sur les équilibres européens, alors que plusieurs pays membres de l’UE s’apprêtent à faire des choix similaires.
Une trêve illusoire ?
En parallèle de cette déclaration, Israël avait annoncé jeudi 29 mai avoir accepté une proposition américaine de cessez-le-feu. Mais le Hamas a jugé cette proposition insuffisante. Selon Bassem Naïm, membre du bureau politique du mouvement islamiste, « cette réponse signifie, en essence, la perpétuation de l’occupation, la poursuite des meurtres et de la famine (même pendant la trêve temporaire), et ne répond à aucune des demandes du peuple palestinien ». Une réponse qui souligne la profonde fracture entre les deux camps, mais aussi la complexité de toute avancée diplomatique dans un contexte où l’aide humanitaire devient une arme, et où les lignes rouges semblent continuellement repoussées.
En optant pour des mots plus forts et des lignes plus fermes, Emmanuel Macron cherche à repositionner la France comme un acteur de médiation influent, tout en répondant aux critiques internes sur l’inaction face au drame humanitaire à Gaza. Mais il marche sur un fil : toute reconnaissance précipitée pourrait froisser certains partenaires, tout comme toute temporisation supplémentaire pourrait paraître comme un abandon du peuple palestinien. Une chose est sûre : le mois de juin s’annonce décisif. Pour la diplomatie française, pour les Palestiniens, et pour l’avenir de la relation euro-israélienne.