L’idée que l’obésité soit exclusivement une maladie est au cœur d’un débat qui divise les professionnels de la santé et la société. Un rapport publié dans la revue scientifique The Lancet Diabetes & Endocrinology appelle à une refonte radicale des critères de diagnostic, mettant en lumière les limites de l’indice de masse corporelle (IMC). Pour les 58 chercheurs ayant participé à ce travail, l’IMC est une mesure insuffisante, incapable de refléter la complexité de cette condition. En lieu et place, ils proposent de distinguer deux catégories : l’obésité préclinique , où les organes fonctionnent normalement malgré un excès de graisse, et l’obésité clinique , où cet excès nuit au fonctionnement des organes ou aux capacités physiques.
Selon cette redéfinition, l’obésité préclinique nécessiterait avant tout des mesures préventives, tandis que l’obésité clinique relèverait d’une prise en charge médicale et thérapeutique plus intensive. « Cette distinction permet de reconnaître la diversité des situations et d’éviter une surmédicalisation tout en ciblant les véritables besoins », explique Francesco Rubino, chirurgien au King’s College de Londres et principal auteur du rapport.
Dépasser l'IMC : une révolution dans le diagnostic
L’indice de masse corporelle, bien que omniprésent dans le diagnostic de l’obésité, est remis en cause pour son manque de précision. Calculé uniquement sur la base du poids et de la taille, l’IMC ne tient ni compte de la répartition des graisses dans le corps, ni des conséquences de l’excès de graisse sur la santé des individus.
Les chercheurs plaident pour des méthodes plus complètes et personnalisées, comme la mesure du rapport taille-hanches ou l’évaluation de la fonction organique via des analyses avancées. Ils rappellent que certaines personnes avec un IMC élevé peuvent être en parfaite santé, tandis que d’autres, présentant un excès de graisse non détecté par l’IMC, peuvent développer des pathologies graves. Cette approche pourrait réduire les erreurs de diagnostic et garantir des soins mieux adaptés. Pour Nathalie Farpour-Lambert, médecin associée aux Hôpitaux universitaires de Genève, « cette refonte est essentielle pour adapter le système de soins et améliorer l’accès aux traitements, aujourd’hui trop restrictifs pour les patients en Suisse et ailleurs ».
Entre enjeux médicaux et lutte contre la stigmatisation
Ce débat médical reflète également des tensions sociales. L’obésité est associée à une stigmatisation importante, exprimée par des militants anti grossophobie qui rejettent l’idée que tout excès de poids soit synonyme de maladie. En parallèle, des associations de patients appellent à une reconnaissance plus large de l’obésité comme maladie, condition nécessaire selon elles pour accéder à des soins adéquats. Les nouvelles conclusions du rapport soulèvent aussi des questions sur les traitements de perte de poids, comme le Wegovy, dont l’efficacité est prouvée mais dont l’usage massif est réfléchi. Les experts appellent à un équilibre entre prévention et traitement, insistant sur l’importance d’une approche personnalisée. « L’obésité est un problème complexe, et personne n’a totalement raison ou tort », souligne Francesco Rubino.
Les recommandations, bien que ambitieuses, risquent de mécontenter ceux qui espéraient une position tranchée. Pour Anne-Sophie Joly, fondatrice du Collectif national des associations d’obèses, ces propositions restent déconnectées de la réalité vécue par de nombreux patients, qui peinent encore à trouver un suivi adapté. Pourtant, selon les chercheurs, cette nouvelle classification pourrait améliorer la prise en charge tout en notamment la stigmatisation liée à des diagnostics parfois trop simplistes.