Le meurtre d’Aboubakar Cissé dans une mosquée de La Grand-Combe, dans le Gard, a provoqué une onde de choc nationale. Alors que François Bayrou a qualifié l’acte d’« islamophobe », une partie du gouvernement, notamment Aurore Bergé et Bruno Retailleau, refuse l’usage de ce terme.
Vendredi 26 avril, Aboubakar Cissé, un jeune homme de 22 ans, a été poignardé à mort dans la mosquée Khadidja, à La Grand-Combe (Gard). L’agresseur, identifié comme Olivier H., a asséné entre 40 et 50 coups de couteau à la victime, qu’il ne connaissait pas, avant de filmer la scène et de proférer des insultes telles que « Ton Allah de merde ». Il est actuellement en fuite, considéré comme « extrêmement dangereux » selon le procureur d’Alès, Abdelkrim Grini.
François Bayrou parle d’« ignominie islamophobe »
Le Premier ministre François Bayrou a été l’un des premiers responsables politiques à réagir. Le samedi suivant, dans un message publié sur X (anciennement Twitter), il a qualifié le meurtre d’« ignominie islamophobe » et exprimé sa solidarité avec les proches de la victime. Interrogé dans Le Journal du Dimanche (édition du 4 mai), Bayrou a assumé l’utilisation de ce terme controversé : « Ici, les faits sont clairs : un garçon de 22 ans, assassiné dans une mosquée pendant qu’il priait. Et son agresseur filme sa mort en proférant des insultes contre Allah. Si ce n’est pas de la haine dirigée contre l’islam, qu’est-ce que c’est ? Pourquoi refuser les mots justes ? »
Bruno Retailleau et la droite refusent aussi ce terme
Mais cette prise de position ne fait pas l’unanimité au sein même du gouvernement. Invitée du Grand Jury RTL/M6/Le Figaro/Public Sénat dimanche 5 mai, Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de la lutte contre les discriminations, a exprimé son désaccord : « Ce n’est pas un terme approprié », a-t-elle déclaré. Elle a estimé que ce mot pouvait « créer de la confusion » et servir de levier à « des ennemis de la République » pour empêcher la critique des religions ou le droit au blasphème. « Je combats toutes les formes de haine, sans hiérarchie, mais l’emploi de ce mot risque d’être contre-productif », a-t-elle insisté.
Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, lui aussi réservé, a rappelé dans les médias que « le mot islamophobie a une connotation idéologique très marquée vis-à-vis des Frères musulmans », justifiant pourquoi son ministère ne l’utilise pas. Une position partagée par une grande partie de la droite, qui préfère évoquer des actes « antimusulmans » ou « haineux », sans employer le terme d’« islamophobie ».
Un débat politique mais aussi sémantique
Ce désaccord s’inscrit dans un débat plus large sur la manière de nommer les actes de haine envers les musulmans. Dans le même entretien au JDD, François Bayrou a défendu une lecture plus directe : « Ce qui m’importe, ce n’est pas le mot, c’est ce qui est en train de se passer : une forme d’explosion en chaîne de la société française. La détestation d’un concitoyen pour ce qu’il est, pour sa foi ou sa philosophie, je ne l’accepterai jamais. »
SOS Racisme dénonce un « silence assourdissant »
Dominique Sopo, président de SOS Racisme, a lui aussi réagi vivement dimanche sur Franceinfo, déplorant le manque de réactions officielles après le meurtre d’Aboubakar Cissé. « Je me demande si M. Retailleau avait piscine. On ne l’a pas entendu », a-t-il ironisé, avant d’ajouter : « Le fait que ce crime soit au moins en partie motivé par la haine envers les musulmans exige une réaction politique forte. » Il a aussi rappelé que de nombreux actes antimusulmans restaient sous-déclarés ou classés sans suite, faute de preuves ou d’enquêtes approfondies. Il appelle à « un sursaut collectif » pour reconnaître et documenter ces violences.
Loin d’être anecdotique, cette controverse révèle une tension persistante au sein de l’exécutif sur la manière de nommer certaines discriminations. Elle met aussi en lumière les réticences de certains responsables politiques à nommer explicitement la haine antimusulmane, au risque de paraître alignés sur une terminologie perçue comme militante. Dans un pays où le débat sur la laïcité et les relations entre religions et République est particulièrement vif, les mots choisis — ou évités — en disent long sur les fractures politiques et idéologiques qui traversent la société française. Une chose est sûre : le meurtre d’Aboubakar, et les réactions qu’il suscite, ont ouvert une nouvelle séquence politique aussi sensible que révélatrice.