Face à l’obligation de vérifier l’âge des internautes, le géant du porno Aylo suspend ses services dans l’Hexagone, dénonçant une atteinte à la vie privée et à son modèle économique.
C’est une décision qui ne passe pas inaperçue. Ce mercredi 4 juin, les sites Pornhub, YouPorn et Redtube ont coupé l’accès à leurs contenus en France. La maison mère de ces plateformes, le groupe Aylo, dénonce l’entrée en vigueur de nouvelles règles sur la vérification de l’âge et dit vouloir « alerter le public français » sur une dérive liberticide. En toile de fond : une bataille entre régulation, protection des mineurs et défense de la vie privée.
Une réponse choc à la pression législative française
C’est via un communiqué et une conférence de presse en ligne que la direction d’Aylo a officialisé sa décision. « Nous avons pris la décision difficile de suspendre l’accès à nos sites en France dès mercredi après-midi et d’utiliser nos plateformes pour nous adresser directement au public français », a déclaré Alex Kekesi, vice-présidente du groupe. Depuis juillet 2020, la loi française impose aux éditeurs de sites pornographiques de vérifier l’âge de leurs utilisateurs, au-delà d’une simple déclaration sur l’honneur.
Une exigence restée longtemps lettre morte, mais qui s’est récemment renforcée avec la loi SREN (Sécuriser et réguler l’espace numérique). Cette dernière permet à l’Arcom — le gendarme de l’audiovisuel — de bloquer un site sans décision judiciaire, dès lors qu’il ne respecte pas l’obligation de contrôle d’âge. Pour Aylo, ces mécanismes de vérification (scanner de documents d’identité, identifiants numériques tiers, etc.) sont jugés trop intrusifs et peu fiables. Le groupe estime que la responsabilité de vérifier l’âge devrait incomber aux fabricants d’appareils et aux géants de la tech comme Google, Apple ou Microsoft. En attendant, les internautes français sont désormais redirigés vers un message d’opposition politique, visible sur les pages d’accueil des sites concernés.
Un bras de fer entre régulation et modèle économique
Cette décision intervient dans un contexte tendu. Selon les données d’Aylo, la France représente le deuxième marché mondial de Pornhub, avec environ 7 millions de visiteurs quotidiens. Un trafic immense, essentiel pour un modèle économique basé sur la publicité et l’accès gratuit à grande échelle. Mais en refusant de se conformer à la loi, le groupe prend un risque assumé. Déjà, plusieurs États américains ayant imposé une vérification d’âge ont été confrontés à des blocages volontaires similaires de la part d’Aylo. Dans ces cas-là, l’objectif est double : alerter l’opinion publique et faire pression sur les gouvernements.
La réaction du gouvernement français ne s’est pas fait attendre. Aurore Bergé, ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes, s’est félicitée de cette suspension. « Pornhub, YouPorn et Redtube refusent de se conformer à notre cadre légal et décident de partir. Tant mieux ! Il y aura moins de contenus violents, dégradants, humiliants accessibles aux mineurs en France. Au revoir », a-t-elle écrit sur X. L’Arcom, de son côté, a publié récemment un guide technique à destination des éditeurs, recensant les solutions jugées respectueuses de la vie privée tout en étant conformes à la loi. Mais dans les faits, très peu de sites ont mis en œuvre ces systèmes — en grande partie à cause de leur complexité technique et de leur coût.
Un débat de fond sur la régulation du Web
Derrière cette polémique se joue un débat plus large sur la souveraineté numérique, la régulation des contenus sensibles et la place des grandes plateformes internationales dans le paysage français. Si l’accès à certains contenus est légalement restreint aux majeurs, la mise en œuvre technique de cette limite soulève encore de nombreuses questions.Pour certains défenseurs des libertés numériques, ces obligations posent un risque de surveillance généralisée, en créant des bases de données sensibles, voire des failles de sécurité. Pour d’autres, elles sont indispensables à une meilleure protection des mineurs, exposés de plus en plus jeunes à des vidéos violentes, parfois non consensuelles ou illégales.
Le retrait temporaire d’Aylo est-il un simple coup de pression, ou le début d’un bras de fer durable avec les autorités françaises ? À l’heure où d’autres pays européens envisagent des législations similaires, la France pourrait bien devenir un cas d’école dans la régulation des géants du X en ligne.