Le 16 novembre 2022 sortait le film « La Maison », adaptation du roman éponyme d’Anna Becker. La sortie du roman avait divisé, celle du film également.

Ce mercredi 16 novembre sortait en salles le film « La Maison » réalisé par Anissa Bonnefont, adapté du roman éponyme écrit par Anna Becker. L’ouvrage est la mise en lumière de son expérience, voulue, au sein d’une maison close berlinoise. En 2014, celle-ci se fait donc embaucher volontairement afin d’écrire son livre. Elle commence par travailler dans un établissement appelé le Manège, dans lequel son expérience débute très mal. Elle décide donc d’en changer après un mois et se retrouve au sein de la Maison, un établissement bourgeois de la capitale allemande. Y débute alors une aventure salvatrice et émancipatrice. Une expérience positive qui soulève de nombreuses critiques, notamment de la part des collectifs féministes qui opposent volontiers féminisme et prostitution.

Apologie ou non ?

Il n’est jamais simple de parler de prostitution. À ce sujet, les discussions vont bon train et chacun y va de son avis. Globalement, si la prostitution reste un sujet houleux c’est parce qu’il pose plusieurs question : le consentement des femmes à faire ce métier, l’implication des hommes qui font appel à ces services, ce que ça dit de notre société, la régularisation de ce métier parfois dissimulé ou encore les conditions de travail des femmes. On pense notamment à l’hygiène et l’accès aux soins qui leur sont possible (ou non). Pour les abolitionnistes qui militent pour l’arrêt de toute forme de législation autour de la prostitution, ce livre mais aussi ce film est une hérésie. Ces derniers partent du principes que les travailleuses du sexe sont les victimes d’un système qui entend toujours plus objectifier le corps de la femme. Un système qui broie leur corps. Pour Emma Becker, il ne s’agit définitivement pas que de ça.

« Faire des putes des héroïnes ». C’est ce à quoi aspirait Emma Becker en faisant ce livre, comme elle l’a expliqué au Monde. Elle se justifiait également dans une interview pour France Culture en racontant le processus d’écriture :  « Je voulais faire l’expérience de cette condition très schématique : une femme réduite à sa fonction la plus archaïque, celle de donner du plaisir aux hommes ». Toujours dans les colonnes du Monde, l’actrice affirma que la prostitution peut-être « une expérience enrichissante, voire épanouissante, dès lors qu’elle est pratiquée dans de bonnes conditions ». La preuve, ça l’a été pour elle. Des propos qui ne passent pas pour de nombreuses associations. Le collectif Osez le féminisme ! Dénonce un roman qui  « qui glamourise et banalise l’achat des femmes et qui légitime les violences masculines ». Emma Becker en est certaine. Le problème qui entoure son ouvrage est qu’il livre un récit positif sur un métier perçu comme un métier indigne, triste et douloureux :  « Si j’avais raconté une prostitution malheureuse, est-ce qu’on m’aurait demandé des preuves ? J’ai été tentée d’en donner, mais ça servirait à quoi ? Ça n’empêchera pas les abolitionnistes de dire que cet endroit n’est pas représentatif de la réalité de la prostitution. »

Prostitution : la question épineuse du retour des maisons closes

© Unsplash

L’opinion publique semble partagée. Bien que la majorité tend à penser que la prostitution est absolument incompatible avec le féminisme et qu’il n’existe aucun moyen de l’ériger en activité noble ou émancipatrice. Pour cette opinion, la prostitution n’a qu’un vérité : celle des chiffres abominables qui l’entoure. En effet, si l’on en croit plusieurs études, la moyenne d’âge de décès des prostituées est de 34 ans. Un âge dû à aux suicides, aux meurtres commis par les clients et les proxénètes, au sida ou encore à la prise de drogues pour tenir le coup. Aussi, 90 % de ces travailleuses auraient été victimes d’agressions sexuelles durant leur enfance. Il est donc complètement exclut qu’une femme puisse se sentir la liberté de se faire payer pour donner du plaisir aux hommes.

Ana Girardot qui interprète le rôle d’Emma Becker, qui se fait appeler Justine, dans le film, tient un tout autre discours :  « Quand sa sœur la critique sur son choix de se prostituer dans une maison close pour nourrir un livre, elle s’en fout et continue son expérience. Ce film affirme que les femmes sont plurielles et qu’elles peuvent avoir une sexualité jugée discutable, qui peut étonner, voire choquer » explique l’actrice au magazine Numero. Et de nuancer : « C’est aussi un film humaniste car il raconte beaucoup d’histoires. Dans la majorité des cas, la prostitution n’est pas un choix, elle est subie ».

 

Un constat qui laisse donc planer le débat sur les réouvertures des maisons closes en France. Un débat tué dans l’oeuf en 2018 alors que la députée LaREM du Var Valérie Gomez-Bassac constate la coexistence d’un réseau de proxénétisme roumain et de travailleuses du sexe indépendantes. Celle-ci avait alors expliqué qu’elle aurait préféré le retour des maisons closes plutôt que de voir des femmes sur le bord des routes dans des « conditions déplorables ». Pour Amar Protesta, qui est devenue travailleuse du sexe à l’âge de 18 ans, le débat est stérile. « L’idée n’est pas de débattre de l’utilité ou de la moralité de cette pratique puisque de toute façon elle existe (…) Mais de se demander ce qu’on peut faire pour des personnes qui signalent de plus en plus de violences et de difficultés sanitaires. La contrainte économique ? Je répondrais simplement que tout le monde travaille pour gagner de l’argent, non ? Moi, j’ai commencé pour payer mes études et le travail du sexe a été un levier d’indépendance et d’émancipation. Il ne faut pas blâmer, mais chercher des solutions » a-t-elle lancé à TF1 Info.

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